Oie grasse Solennité de la Toussaint Le 1er novembre 2020

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

J 7,2-4.9-14 : j’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer…

J 3,1-3 : nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons ne paraît pas

Mt 5,1-12a : Les Béatitudes

La fête de tous les Saints – fidèles, canonisés ou non, béatifiés ou non – communément appelée la Toussaint nous donne l’occasion de traiter d’un sujet omniprésent dans l’Eglise et qui est le but de tout disciple du Christ : la sainteté.

         Et justement, comme c’est souvent le cas : c’est qui paraît évident, il ne l’est pas forcement.  La sainteté est si fréquemment côtoyée qu’on s’habituait à sa présence… On la conjugue à tous les temps, on l’accommode à toutes les sauces, à tel point qu’à la question finale la plus simple d’entre toutes : que signifie être Saint aujourd’hui, dans les temps qui sont les nôtres et le pays dans lequel nous vivons ? – nous ne savons que répondre.

Non, ce n’est même pas cela : nous répondons par des lieux communs qui signifient, certes, quelque chose mais ne fournissent aucune réponse de fond.

En voici quelques-unes :

  • être saint ? c’est beaucoup prier…,
  • un saint ? c’est un homme ou une femme qui a été canonisé par le pape.
  • le Saint ? c’est un exemple à suivre.

Vous voyez, nous décrivons la sainteté comme on sculpte une statue ou comme on cisèle des vitraux.

Regardez celles et ceux qui ornent cette église : ils décorent, ça fait tout de suite « église », mais ça ne séduit plus.

C’est statique, pétrifié, ça ne vit plus.

On pourrait facilement mettre un signe d’égalité entre la sainteté et l’image d’Epinal tant c’est naïf, désincarné, de la guimauve !!!

C’est peut-être bien à cause de cela que pas mal d’entre nous, à la question : Veux-tu être saint ? répondent spontanément : Oh, la sainteté, ce n’est pas pour moi.

Eh oui, je vous l’assure, une telle sainteté pareille à un organe conservé dans un bocal de formol ne m’intéresserait pas non plus.

La sainteté n’est pas une vie préservée, protégée…

C’est une vie donnée et exposée.

Ecoutez cette histoire :

Dans une ferme vivait un troupeau d’oies domestiques.

Chaque jour, ces demoiselles respectaient scrupuleusement le programme du jour : elles se baignaient dans une flaque d’eau spécialement préparée pour elles.
Avec grand soin, elles nettoyaient leurs plumes et leur bec et se gargarisaient le gosier, comme il se doit.

Ensuite, majestueusement, elles s’ébranlaient, balançant leurs corps en direction d’un vieux saule planté dans un angle de la cour.

A ses pieds présidait un très noble jars, un gros mâle, un grand sage, grâce à l’expérience acquise dans sa jeunesse, alors qu’il était encore libre et appartenait à un troupeau d’oies sauvages.


Quand toutes ses congénères parvenaient devant lui pour l’écouter, il fermait les yeux et racontait comment c’était d’autrefois, alors que son troupeau s’envolait bien haut, en une belle formation d’oies dans le ciel d’azur.

Sans peur, il affrontait le vent et les distances.

Le vieux jars narrait donc ses expéditions intrépides, quand il lui fallait franchir mers et océans et que pour arriver sur une terre ferme, il volait toute la journée, sans repos. C’est alors que son troupeau était magnifique, fort et résistant !

Il racontait aussi l’histoire de ces oies héroïques qui n’hésitaient pas à se sacrifier, faisant diversion afin de sauver tout le troupeau d’une mauvaise passe.

Toutes les oies domestiques, émues, écoutaient ces exploits. Toutes pleuraient d’émotion, toutes battaient des ailes pour applaudir.

Néanmoins, une fois après avoir entendu le bruit du portillon ouvert par le propriétaire apportant de la nourriture, toutes, sans exception, le jars compris, délaissaient les belles histoires et couraient vers les gamelles remplies d’aliments.

Heureuses et satisfaites, elles ne volaient plus jamais, trop lourdes qu’elles étaient pour leurs ailes tronquées.[1]

Mes frères et sœurs bien aimés,

Combien de fois nous, élus de Dieu, marqués lors de notre baptême par le sceau du salut, appelés à pratiquer les béatitudes afin qu’ici soit d’ores et déjà comme au ciel, nous sommes devenus comme ces oies, alourdis par le bien-être et satisfaits par le statu quo.

Certes, dans les discussions, nous essayons toujours de refaire le monde, nous inventons des recettes, nous critiquons les choix des autres mais… mais… une fois le portillon de notre quotidien ouvert, nous fuyons l’espace public pour retrouver notre écuelle et notre canapé douillet.

Ainsi, nous ne risquons plus de changer le monde puisque nous ne commençons même pas par nous changer, nous ! c’est simple !

        Et je sais ce que je dis car, étant parmi vous depuis 11 ans, j’entends toujours les mêmes réponses lorsqu’une nouvelle proposition voit le jour : à quoi bon ? On ne l’a jamais fait… On n’est pas sûr que cela plaise aux gens

Le Saint se moque de ce que pensent ou penseront les autres, à condition que cela soit juste et bon aux yeux du Seigneur.

Aucun Saint, que je sache, n’a jamais fait de sondage d’opinions pour savoir s’il devait agir ou pas.

D’ailleurs, ce qui tue toute initiative salutaire, c’est le consensus « mou ».

Il est très bien décrit par Philippe Muray, connu et reconnu pour la force de sa prose et son absolue liberté de penser, dans son livre prophétique l’Empire du bien, sous-titré :  Il est urgent de le saboter.

Alors voici ce qu’il écrit :

L’exploit du despotisme du consensus mou est d’être à la fois quasi invisible
et partout répandu, donc sans dehors, sans alternative.
[…]

Le consensus mou est-il d’une violence inattaquable, un extrémisme du Juste Milieu, l’asexuation générale enfin réalisée, radicale, une sorte de transsexualisme absolu, sans les paillettes ni le pathétique.

Alexis de Tocqueville écrit encore :

Des chaînes et des bourreaux, ce sont là les instruments grossiers qu’employait jadis la tyrannie ; mais de nos jours la civilisation a perfectionné jusqu’au despotisme lui-même, qui semblait pourtant n’avoir plus rien à apprendre.

Ecoutons un peu le marmonnement de la grande ferveur des bien-portants.
Ils nous veulent tous concernés, sommés d’adhérer, responsabilisés, transformés en militants, en agents hospitaliers. Le projet thérapeutique a triomphé.
Seul notre argent, il y a encore dix ans, intéressait les vampires; depuis, les écrous se sont resserrés; maintenant, c’est nous  tout entiers, du bulbe aux tripes, qu’ils avalent, tout notre avenir, notre santé, aussi bien mentale que physique
.[2]

A chaque époque ses propres saints…

A chaque dictature, ses propres stratagèmes…

La sainteté n’est pas un modèle unique et figé…

Chaque fois, elle est une réponse adéquate aux abaissements, aux abus, aux médiocrités ambiantes…, bref ! à l’assoupissement général.

Ainsi devons-nous inventer la sainteté d’aujourd’hui…, l’exprimer par des actes précisément réels, en réponse aux problèmes actuels.

Par contre, deux choses de la sainteté sont à jamais constantes : la liberté de l’enfant de Dieu et la certitude que la vie du juste reste toujours dans la main du Seigneur.

           Et je finirai, mes chers frères et sœur bienaimés, par une prière qui montre bien les orientations à adopter si nous voulons réellement décoller vers les hauteurs de la vie chrétienne :

Quand domine la haine,
   que nous annoncions l’amour.

Quand blesse l’offense,
   que nous offrions le pardon.

Quand sévit la discorde,
   que nous bâtissions la paix.

Quand s’installe l’erreur,
   que nous proclamions la vérité.

Quand paralyse le doute,
   que nous ranimions l’espérance.

Quand s’épaississent les ténèbres,
   que nous apportions la lumière.

Quand règne la tristesse,
   que nous libérions la joie.[3]


[1] Bruno FERRERO, 365 krotkich opowiadan dla ducha, czesc 2, Wyd. Salezjanskie, Warszawa 2018, p.159

[2] Philippe MURAY, L’Empire du Bien. Il est urgent de le saboter, éd. Perrin (collection Tempus n° 779), Paris 2019, p.69-70

[3]  La liturgie des heures, les intercessions dans les laudes, samedi, 30ème Semaine du Temps Ordinaire – Année Paire de la férie