La cigale et la fourmi selon l’Evangile 32ème dimanche du temps ordinaire, année A, Le 8 novembre 2020

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

Sg 6,12-16 : la Sagesse est resplendissante, elle est inaltérable.

1 Thess 4,13-14 : Frères, nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui se sont endormis dans la mort.  

Mt 25,1-13 : La parabole de dix jeunes filles.

Je pense ne pas être le seul à avoir le cœur partagé après avoir lu la parabole de ces dix jeunes filles invitées à des noces.

D’un côté, la conclusion de l’histoire est assez logique : afin de ne pas rater le coche, comme l’on dit, il faut éviter la distraction et le manque de clairvoyance.

D’autre part, dans cette histoire, quelque chose me dérange et franchement me déçoit, c’est que ces bonnes jeunes filles, sages et vertueuses, vont refuser de prêter de l’huile à leurs compagnes. Un véritable manque de charité ![1]

Nous sommes donc partagés entre l’efficacité et la culpabilité.

Et quand, de surcroît, nous vivons à l’époque du terrorisme humanitaire, où en utilisant les expressions de Philippe Muray, essayiste français, qui traite du terrorisme de bienêtre ou de l’Empire terrorisant du Sourire[2], nous n’avons plus le choix, comme plus personne n’a d’ailleurs le choix entre le vice et la vertu.[3]

Nous devons être humanistes, donc tous les combats qui lui sont relatifs doivent être nôtres, sans distinction ; toutes les bonnes causes et revendications doivent être reconnues et satisfaites.

Pas de frontière ! Pas de murs !

Au nom de la fraternité universelle, pas de distanciation, pas de jugement : mais la communion, n’est-ce pas beau ?

C’est beau… mais faux.

A hurler de fausseté – comme l’écrit Philippe Muray dans son livre l’Empire du bien. Il est urgent de le saboter.

Il ajoute : nous n’avons peut-être jamais été aussi cernés par des « valeurs » plus écrasantes, plus terrorisantes, plus terrassantes. Encore faut-il les définir. [ …] Entre nous et le néant, il n’y a plus que le Bien déclamé sur toutes les chaînes, sur toutes les ondes.[4]

          Revenons néanmoins à notre parabole pour approfondir mieux le sujet en vue de le bien comprendre.

Laissons de côté notre premier réflexe de charité, pour nous approcher, autant que possible, du cœur du message que notre Seigneur Jésus Christ voulait faire passer à ses auditeurs.

Et vous en êtes sans aucun doute tous d’accord : notre divin Maître ne voulait ni nous dire que la charité ne valait pas grand-chose, ni que «chacun pour soi» en est une bonne.

Il voulait, comme à son habitude, que nous poussions encore plus loin la réflexion sur la charité de base et les premières impressions.


         Je ne sais pas vous mais, pour mieux comprendre un sujet, je me sers d’exemples tirés de mon environnement, et si possible, d’exemples récents.

Alors, imaginez-vous : vous participez au rallye Paris-Dakar.

Votre équipe se compose de deux voitures, peu importe leur marque.

Votre but est de finir la course et, si possible, et pourquoi pas enfin, la gagner. Ce serait un beau triomphe !

Vous êtes donc partis. Les jours passent…, vous vous battez…, vous vous soutenez mutuellement… jusqu’à ce que l’arbre de transmission de la voiture de vos coéquipiers vole en éclat, causant des dommages irréparables au milieu du désert.

Evidemment, c’en est fini pour eux !!

Que faire, donc ???

On se lamente, on ouvre une bouteille ensemble en attendant les secours ?

On arrête la course par solidarité avec les malchanceux, quand bien même ce sont nos compagnons de route !

Bien au contraire, une fois la constatation faite, on récupère de la voiture immobilisée, tout ce qui pourrait être encore utile à ceux qui restent en lice… et adieu, on file, à l’affut du gain toujours espéré.

Vous me direz :

Oui, c’est vrai, mais vous ne voulez pas dire, mon Père, que la question du salut  ressemble à une course ?

Certes, non ! mais l’exemple avancé nous rappelle qu’il faut faire des choix forts et parfois impopulaires afin d’arriver au but de notre quête. Sinon, on stagne à mi-chemin.

Si les filles sages sombraient dans le misérabilisme et la fausse charité, ni elles, ni celles qu’elles aideraient ne rencontreraient l’époux. Le désir de leur cœur ne serait pas comblé. Toutes l’auraient raté.

La solidarité, déraisonnée, contre toute logique, les conduirait toutes, toutes ! à l’échec.

      Voici un deuxième exemple, encore plus explicite.

Souvenez-vous de cette aventure incroyable et dramatique de l’alpiniste drômoise Elisabeth Revol qui, en janvier 2018, s’attaqua à un sommet de l’Himalaya nommé le Nanga Parbat, surnommée montagne tueuse en raison de sa mauvaise réputation.

Revol n’était pas seule. Elle était accompagnée d’un alpiniste polonais, Tomasz Mackiewicz…, l’ami avec qui elle avait déjà réalisé d’autres ascensions.

Cette fois ci, ils avaient décidé de gravir ladite montagne en hiver, ce qui n’était pas facile car le Nanga Parbat est réputé pour ses difficultés techniques.

Ils réussissent donc leur pari mais, en redescendant, un drame se produit. Tomasz est en mauvais état : ophtalmie des neiges, gelures, il semble développer des œdèmes pulmonaires et cérébraux, stade ultime du mal des montagnes.

Elisabeth lance un appel de détresse. Hélas, impossible que l’on vienne les secourir : le temps est défavorable et, surtout, l’altitude est trop importante pour les hélicoptères disponibles.

Le temps passe, que faire ?

Vous connaissez la fin : Elisabeth descend Tomasz tant qu’elle le peut encore mais elle-même est atteinte de sévères gelures aux orteils et aux mains.

Elle le laisse donc dans une crevasse…

Ensuite, seule, quatre jours de descente exténuante… 

Elle est sauvée in extremis par l’héroïque ascension de deux alpinistes Polonais qui viennent la secourir.

Quelle paradoxe dans la situation, pourrions-nous dire : elle laisse un Polonais mourir pendant que d’autres Polonais la sauvent d’une mort certaine.

Ils auraient pu aller plus loin pour chercher leur compatriote…

Mais non, une fois Elisabeth trouvée, ils la descendent à leur base.  

Le premier réflexe, en écoutant cette histoire, serait de se dire :

pourquoi Elisabeth n’est- elle pas restée avec Tomasz, pourquoi n’a-t-elle pas continué la descente encore plus bas avec lui ?

Et même si elle ne réussissait pas, tant pis, ce serait beau de parler après de la solidarité, du soutien héroïque, de la mort à deux au pied de leur rêve.

Ce serait beau, romantique, émouvant à pleurer, et tout ce que vous voudrez, mais cela ne serait pas du tout le meilleur choix, puisqu’au lieu d’avoir un mort, il y en aurait eu deux. Au lieu d’une famille orpheline, on en aurait eu deux.


Mes frères et sœurs bienaimés,

Pour que nous nous comprenions bien, je ne dis pas que nous devons éviter l’héroïsme et sauver les meubles autant que possible.

Ce n’est pas le fond de ma pensée, et encore moins celle du Christ, j’en suis sûr, car il n’a pas hésité à donner sa vie pour nous, aussi ingrats que nous soyons.

Il s’agit pourtant de reconnaître que, parfois, le but poursuivi ne nous laisse pas le choix, ou plutôt, nous force à faire des choix forts, contre la bien-pensance et les sentiments charitables de façade.

Le Chrétien devrait en être conscient : entre le Christ et les autres, il ne devrait pas hésiter.

Entre le salut et la perte de son âme, le Chrétien ne devrait jamais douter, même une seule seconde.


Ainsi, dans le fond, la morale de la parabole des dix jeunes filles concorde avec d’autres paroles du Christ dures à entendre pour notre oreille humaniste, à savoir : quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas fait pour le Royaume de Dieu.[5]

Ou encore une autre : celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi, et celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi.[6]

Vous comprenez ?

Le Chrétien qui fixe son regard sur le Christ et lui fait confiance s’affranchit de tout ce qui le retient loin de Dieu à l’instar de ces cinq filles sages qui, amoureuses de l’époux, ont sacrifié d’une certaine manière leurs relations humaines.

Elles ont fait un choix douloureux, certes, pas facile, impopulaire, mais le seul possible afin de ne pas passer à côté de l’amour de leur vie.

Voici ce qu’on appelle aussi vendre tout ce qu’on possède pour acquérir la perle rare de grande valeur, une fois trouvée.[7]

Mais cela fait l’objet d’une autre parabole… un dimanche à venir.

                                                                                              Amen   


[1] Michel-Marie ZANOTTI-SORKINE, L’Evangile à cœur ouvert, Robert Laffont, Paris, 2018, p. 403

[2] Cfr., Philippe MURAY, L’Empire du Bien. Il est urgent de le saboter, éd. Perrin (collectionne Tempus), Paris, 2019, p.71 et 81

[3] Cfr.Idem, p.54

[4] Idem, p.67

[5] Lc 9, 62

[6] Mt 10,37

[7] Mt 13,45-46