La messe télévisée ? La solennité du Saint-Sacrement Le 14 juin 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

La messe télévisée ?
La solennité du Saint-Sacrement
Le 14 juin 2020

Lectures :
Dt 8,2-3.14b-16a : Souviens-toi de la longue marche que tu as faite…
1 Cor 10,16-17 :… la coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas communion au sang du Christ ?
Jn 6,51-58 : Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel…

Mes frères et sœurs bien aimés,
La solennité du Saint Sacrement, communément connue sous le nom de Fête-Dieu que l’Eglise universelle honore aujourd’hui tombe à peine trois semaines suivant la reprise de la célébration publique de la Sainte messe.
Durant plus de deux mois, même si les clochers de notre Paroisse ne furent jamais fermés et que l’accès à la communion fut maintenu pour ceux qui désiraient la recevoir, nous ne pouvions pourtant pas nous rassembler librement nombreux comme c’est le cas à présent.

Certains de nous en ont beaucoup souffert, d’autres moins, d’autres peu.
D’ailleurs, dans les échanges que j’ai de temps en temps, quelques phrases étonnantes sortaient de la bouche de mes interlocuteurs. Elles m’ont permis de prendre conscience d’une certaine confusion se révélant quant à la compréhension de l’Eucharistie et de la Sainte messe.
J’ai saisi aussi qu’au fond, dans le monde virtuel qui s’impose depuis des années par des moyens techniques de plus en plus performants, nous perdons la vraie capacité de distinguer nettement la différence entre le réel et l’irréel.
Et cela engendre des répercussions sur la perception de la foi et les pratiques concrètes qui en découlent. Ainsi, parfois, le spirituel fait de l’ombre à tout ce qui est palpable.

Cependant, je vous rappelle que, dans la foi catholique, le spirituel et le charnel ne forment qu’un seul corps.
Le Chrétien n’est pas un platonicien qui conçoit la matière comme inférieure qu’il faut mater et surtout s’en détacher à tout prix. Pour le Chrétien, le corps n’est plus la cage dans laquelle son âme est enfermée.

Pour lui, ce corps a été divinisé, mis en valeur par l’incarnation du divin Fils, afin que l’homme, dans tout son être, corps, âme et esprit, soit élevé au rang de fils de Dieu le Père.
Par conséquent, la foi catholique ne prêche pas la séparation entre le spirituel et le corporel : elle prêche leur équilibre.

Et justement, mes frères et sœurs bien aimés, je pense que le confinement a perturbé cette vision-là. Car comment comprendre la phrase que j’ai entendue plusieurs fois, surtout après les 4 ou 5 premières semaines de confinement :
Mon Père, la messe à la télé, c’est pas mal.
C’est même mieux : pas d’enfants qui courent, pas de voisin qui baille.
On est assis confortablement…, on n’est pas contraints de se dépêcher pour être à l’heure.

Ceux qui ont pensé ainsi à un moment donné n’avaient pas complètement tort.
Sans doute la messe télévisée présente-t-elle des avantages : un canapé douillet, un verre de vin de rosé à la main, un civet de lapin qui mijote à la cuisine.
De plus, et ça c’est super chouette !!! si le sermon du curé ne me plaît pas, je peux changer de chaîne et trouver une autre messe.

Peut-être certains rêveraient-ils d’avoir une télécommande dans nos églises :
si le prêtre prêchait trop longtemps ou si l’animateur chantait comme un mouton égorgé…, il suffirait d’appuyer sur un bouton et…. bzzzz… la messe avancerait de quelques minutes.
Je crains que ces personnes-là essaieraient alors réduire la messe à un quart d’heure, juste le temps de faire une lecture – pas très longue et pas controversée – dire le Notre Père et recevoir la Communion.

Alors, sans aucun doute, la messe télévisée recèle des avantages dont tous les malades et les personnes âgées dont les mouvements sont limités témoignent.
Cependant, il faut nous dire que la messe télévisée ne peut pas et ne doit pas se substituer à la messe qu’un prêtre en chair et en os célèbre dans une église ou une chapelle, avec une communauté vivante et bien tangible, en temps réel.
De même, la communion spirituelle, quoique profitable pour notre vie intérieure, ne peut jamais et ne doit jamais remplacer la communion au corps de Jésus reçue matériellement.

Et pourtant, j’ai lu quelques théologiens, prêtres et même évêques qui, banalisant le fait que les célébrations publiques étaient interdites, essayaient de prouver que la communion spirituelle vaut autant, si ce n’est plus, que la communion reçue machinalement au cours d’une messe.
Je vous assure, quand j’entends de tels propos, je reste toujours estomaqué par la confusion des genres.
Certes, la communion spirituelle est une manière de se mettre en osmose avec le Christ mais elle ne peut revêtir la même valeur que lorsqu’on le reçoit dans son corps sous la forme d’une petite hostie consacrée.

Ces deux communions se complètent. Elles ne peuvent pas être opposées car la valeur du Christ, présent réellement dans une hostie, ne dépend pas de nos dispositions du moment ni de notre perception.
La communion du désir et la communion au Saint Sacrement ne s’égalent pas. Elles se situent sur deux niveaux distincts.
Je rappelle que, dans la foi catholique et apostolique, le spirituel et le charnel s’embrassent. L’un a besoin de l’autre, l’autre tire son sens du premier.
Peut-être vous souvenez-vous de l’adage latin :

gratia supponit naturam non destruit sed perficit eam ?

La formule vient du sacré monstre de théologie Thomas d’Aquin :
elle se traduit de la manière suivante :

la grâce s’appuie sur la nature.
La grâce ne détruit pas la nature mais elle la perfectionne.

Ainsi éclairés, nous comprenons mieux pourquoi le Christ, fils de Dieu, est descendu jusqu’à nous et s’est fait homme.

Si vous trouvez que la formule vous reste trop hermétique…, je vous parlerai plus concrètement afin de comprendre que le spirituel coupé du charnel fausse nos relations avec Dieu et avec l’autre. Elles deviennent de plus en plus virtuelles, qu’on le veuille ou non.
Ainsi, la première fois où j’ai entendu que la communion spirituelle est semblable à la sainte communion reçue au cours d’une messe, il m’est venu tout de suite à l’esprit une réplique un peu osée, j’avoue :
ah, monsieur, si vous dites que c’est la même chose de communier spirituellement et de communier à la messe, je vous propose de faire l’amour avec votre femme virtuellement.
Essayez, pour voir !!!

Quant à moi, je vous l’assure, cela ne vous donnera ni plaisir, ni progéniture !
Et si vous vouliez encore perdurer dans cette communion spirituelle trop longtemps, un jour ou l’autre, vous serez plaqué ou cocu.

L’homme a besoin de l’autre, non seulement spirituellement mais charnellement. Certes, si je ne peux voir mes proches, je leur écris une lettre, un mail, je leur téléphone… mais au fond, j’ai hâte de les rencontrer au plus vite et de les prendre dans mes bras.
Regardez, le confinement que nous avons vécu n’était pas mal au départ… 3-5 semaines. Beaucoup ont fait le ménage à fond, rangé leur garage, creusé une piscine, entretenu leur jardin.
Mais les semaines passant, de plus en plus, une tension intérieure s’est imposée en nous. Tout ce qui était perçu comme avantages : plus de temps pour soi, pour sa famille, pour ses affaires personnelles, au fil des jours, a commencé à nous peser à tel point que les psychologues et les cliniciens parlent de gens d’après COVID-19, très fragilisés à la suite du confinement, blasés,
ayant perdu le goût d’entreprendre et du contact avec une vie réelle.
Vivant le confinement comme en vase clos, une fois libérés, ils reviennent à la vie normale, mais sans défense et fragilisés.

Sans doute connaissez-vous des gens aux belles paroles, des idéalistes, des conseillers aux recettes toutes faites mais complètement improbables.
Ils ignorent la réalité qui les entoure, ils ne veulent même pas l’admettre, ils refusent de la voir.

Le Chrétien n’est pas un être désincarné. Il est un être sanctifié jusqu’à la moelle de ses os.
D’ailleurs, ce qui nous cause le plus de tort, dans le monde qui est le nôtre, c’est que nous, disciples du Christ, ne sommes pas assez tangibles.
Nous préférons nous dissimuler derrière de pieuses formules et le spirituel, plutôt que de se lancer sur le champ de bataille.
Au nom de notre foi, mal comprise, nous nous réfugions derrière un discours pacifique, consensuel, abstrait.
Imaginez-vous un soldat qui, au lieu de partir au combat, se dit :

je reste à la maison,
je vais prier pour mes camarades qui sont dans les tranchées.

Vous diriez quoi de lui ?
Vous diriez : c’est un lâche, un déserteur, un vaurien et … un traître !

Face au mal, il ne suffit pas de se replier sur soi et de prier.
Il faut lui faire face, l’affronter.
Si le Chrétien voit devant lui un menteur, un voleur, un tordu, il ne détourne pas les yeux pour ne rien voir, en se disant : je vais prier pour lui.
Au contraire, il doit lui dire : stop, ce n’est pas juste ce que tu dis, ce que tu fais.
Ensuite, une fois le mal arrêté, là, il peut affirmer :
je vais prier pour toi, pour que tu te convertisses et restes dans le droit chemin.

La voilà, la foi incarnée !
La voilà, la foi qui change la face du monde !

Mes frères et sœurs bien aimés,
Sans doute pensez-vous que je me suis trop éloigné du sujet principal de mon homélie, c’est-à-dire le Saint Sacrement et la Sainte messe.
Je ne le pense pas.
Je voulais tout simplement affirmer que la messe, afin qu’elle soit une véritable offrande du Christ, doit être charnelle, réelle.
Chaque fois que je prononce les paroles du Christ ceci est mon corps, ceci est mon sang… chaque fois, le Christ se livre pour toi mon frère, pour toi ma sœur.
Ce n’est pas la commémoration d’un événement lointain, qui s’est passé quelque part à Jérusalem.
C’est hic et nunc – ici et maintenant.

Le Christ, dans quelques minutes, ici, dans cette église sous les vocables de St Blaise et St Cyr à Civrieux d’Azergues, dira de nouveau :
Ceci est mon corps livré pour toi Simone, Agathe, Christine, André, Georges, François. Je vous aime jusqu’au don de moi-même.

Et cela n’est pas une fable, une belle formule stylistique pour faire joli et qui ne coûte rien.
Non, ce don coûte cher au Christ…, Il lui coûte sa vie.

Les apôtres, – premiers disciples du Christ- ont bien compris que l’offrande du Christ sur la croix, ce n’est pas une farce ou un spectacle imaginaire.

Savez-vous pourquoi ils ne se sont pas rendus au pied de la croix de leur maître ?
C’est parce – qu’ils savaient très bien qu’ils risquaient leur vie…, qu’ils pourraient y laisser leur peau.
Ils ont bien compris que, donner sa vie, ce n’est pas une figure de rhétorique, un symbole ; c’est du réel.

Si nous pensons que la messe télévisée est meilleure que celle célébrée en notre présence physique, c’est un signe que nous ne voulons pas non prendre de risque.
Aimer Dieu, croire en Lui, témoigner de Lui, pourquoi pas… mais pas trop !
Nous voulons garder nos distances, rester vautrés sur un canapé en sirotant notre bière, nous disant ainsi : pourquoi faire des efforts si nous pouvons voir les mêmes choses sans peine, confortablement installés devant l’écran ?

Mais justement, il ne s’agit pas de voir.
Il s’agit de participer.
Il faut qu’aller à la messe nous coûte…
Il faut qu’elle soit une offrande, un effort, un dépassement…
La véritable messe, c’est lorsque nous mettons notre doigt dans les plaies des mains clouées du Christ et que nous glissons notre main dans son côté transpercé.
Seulement ainsi, nous pouvons découvrir la foi en Christ et la professer :

Mon Seigneur et mon Dieu.

N’oubliez pas, mes frères bien aimés, de le redire, au moment où une hostie blanche s’élèvera au-dessus de vos regard…