Mauvais œil 25ème dimanche du Temps ordinaire, le 20 septembre 2020

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

Is 55,6-9 : Cherchez le Seigneur tant qu’il se laisse trouver

Ph 1,20c-24.27a : En effet, pour moi vivre, c’est le Christ, et mourir est un avantage.

Mt 20,1-16a : N’as-tu pas été d’accord avec moi pour une pièce d’argent ?

Chaque lecture de la parabole des ouvriers de la dernière heure ou de la onzième heure, comme vous préférez, suscite toujours de l’émotion.

Car, si nous la lisons sans entrer dans une réflexion approfondie, il n’est pas normal, pour notre esprit cartésien, que ceux qui travaillent dès le matin et ceux qui ont été embauchés à la fin de la journée touchent le même salaire.

Un sou est un sou, une heure de travail est une heure de travail, donc la récompense doit être différenciée.

Ainsi, nous nous rangeons spontanément du côté des travailleurs qui reprochent au maître de les avoir traités injustement, voire de les avoir abusés.


           Seulement, à la réflexion, nous nous rendons compte que, finalement, il ne s’agit pas d’un salaire ou d’un autre mais que les enjeux de la parabole vont bien au-delà.

Je pourrais en énumérer quelques-uns :

la persévérance du maître dans la recherche, à tout moment, d’ouvriers ; sa générosité et sa sensibilité vis-à-vis des employés ; le problème du chômage, de la jalousie, du manque de solidarité et d’empathie entre collègues de travail …

Vous voyez, le tableau de la réflexion s’élargit très vite.

            Aujourd’hui, je ne m’arrêterai que sur le rapport entre les salariés. Hélas, dans la plupart des cas, nous ne dénonçons que les rapports de forces
entre les dirigeants et les employés.

En bref, les premiers sont des profiteurs qui font pression sur le gouvernement, qu’il soit de droite ou de gauche, pour réduire les charges patronales et pour contrôler la montée des salaires afin qu’elle ne surpasse trop le taux d’inflation.

Coup sur coup, nous entendons alors aux informations que telle ou telle entreprise a versé à ses actionnaires des dividendes faramineux et, dans un même temps, a procédé au licenciement d’un certain nombre de ses ouvriers.

Coup sur coup, nous apprenons que les salariés d’une filiale se sont mis en grève, même si la COVID 19 a mis à mal de telles initiatives, pour faire pression sur la direction.

Chacun de nous, de près ou de loin, est informé de ces tensions permanentes entre celui qui dirige et ceux qui exécutent.

En fonction de notre statut social, que nous soyons cadres ou employés lambda, d’office nous prenons position contre le camp adverse car, vraiment, le fossé entre ces deux mondes est insondable.


Quelle en est l’origine ?

D’un concept de la lutte des classes apparu chez les historiens libéraux français de la Restauration, au XIXème siècle, lors de l’essor important de l’industrie grâce aux inventions techniques, popularisé particulièrement par Karl Marx.

Ce dernier, avec Friedrich Engels, a théorisé en 1848, donc, au moment du Printemps des peuples, dans le manifeste du parti communiste, la lutte des classes, la définissant comme moteur des transformations des sociétés et de l’histoire.

Depuis, le travail est opposé systématiquement au capital, la bourgeoisie au prolétariat, les dirigeants aux syndicalistes.

Et cela perdure depuis lors.

          Cependant, aux yeux du Christ, cette opposition n’a aucune valeur.
Même si, à une période donnée, pas si ancienne d’ailleurs, pour certains usurpateurs cherchant à légitimer le communisme et ses violences au nom de l’égalité sociale, Jésus était considéré comme premier communiste et l’Evangile comme un discours de gauche.

Bien évidemment, cela est faux.

Vous voyez bien que dans la parabole en question le maître n’a pas les traits d’un bourgeois pingre qui cherche son profit à tout prix.

Lui, il paye ses ouvriers avec largesse…, à tel point qu’il est obligé de se justifier face aux reproches que certains lui font :

N’ai-je pas le droit de faire ce que je veux de mes biens ?

Ou alors ton regard est il mauvais parce que moi, je suis bon ?


D’ailleurs, je voudrais m’attarder sur la notion de « mauvais œil ». Autrement dit, on parle de la jalousie.

Au lieu de se réjouir que l’autre ait trouvé, même tardivement, un travail, qu’il ait intégré une entreprise, qu’il ait été encouragé par une prime…, ses collègues de travail ne sont pas contents, malgré le salaire honnête qu’ils ont reçu, selon le contrat passé avec le maître de la vigne.
Ils scrutent d’un esprit malsain les autres, leur portefeuille, leurs revenus.

Particulièrement dans notre région, à Lyon, nous sommes assez secrets sur les questions d’argent. Chacun de nous connait cette fameuse expression :

Pour vivre heureux, vivons cachés.

Les lyonnais ont donc bien compris que l’aisance financière et la possession de biens réveillent les démons de la jalousie et détériorent les relations.
Par conséquent, ils ne se fréquentent pas trop, pour éviter les indiscrétions.

          Cependant, et cela je veux que nous l’apprenions vraiment, au lieu de nous cacher et de nous protéger du regard des autres, essayons plutôt d’améliorer le regard que nous posons sur eux.

Ne voyons pas d’un mauvais œil la réussite d’autrui, ses implications dans un projet, ses succès.

Réjouissons-nous sincèrement de son talent.

Ne le considérons pas comme une menace ou un concurrent.

Le maître de la vigne a payé sciemment les derniers embauchés en premier.
Il voulait que cela se sache pour démasquer la jalousie et l’hypocrisie des autres.


Ainsi, je vous propose un exercice, en ce jour où nous remplissons l’enquête d’engagement au sein de notre Paroisse.

Posons-nous à nous-mêmes les questions suivantes :

  • Suis-je jaloux de l’autre qui fait partie de mon équipe ?
  • Est-ce que je sollicite facilement mes coéquipiers afin que la liturgie,
    le fleurissement ou d’autres projets puissent se réaliser au mieux, ou plutôt, est- ce que je garde toutes les responsabilités pour moi ?
  • Est-ce que je vise la finalité et le bien des projets pastoraux ou plutôt
    ma propre gloire et ma promotion : moi, moi, moi… ?