L’erreur est humaine, le pardon est divin 24ème dimanche du temps ordinaire, année A le 13 septembre 2020

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

Si 27, 30 ; 28, 1-7 : Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis.
Rm 14, 7-9 :  Frères, aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même…

Mt 18, 21-35 : Pierre s’approcha…« Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ?

           Je m’appelle Pierre …, mais je pourrais aussi bien m’appeler Jean ou Françoise, Léo ou Emma, peu importe, car chacun des disciples du Christ, à un moment donné, s’est posé cette question :

Y a-t-il des limites à la bonté ?

Le pardon doit-il être accordé sans borne ?

             Les gens, volontairement ou non, me font mal. Toutes les semaines,
j’ai des choses à pardonner, comme ces derniers temps.

Dois-je pardonner au maire de Lyon qui, au nom de la laïcité, a décliné sa participation au vœu des échevins envers Notre Dame de Fourvière mais que cette même laïcité n’a pas empêché, le lendemain, de poser la première pierre d’une nouvelle mosquée à Gerland ?

Dois-je pardonner aux députés qui ont voté l’élargissement de la possibilité d’avorter jusqu’à la veille de la naissance ?

Dois-je pardonner à Angèle, une mignonne chanteuse belge à la mode, qui chantait avec succès « balance ton quoi » afin de dénoncer le machisme et le sexisme ? Mais quand son frère Roméo a été accusé après qu’il ait lui-même reconnu avoir tenté d’abuser d’une femme, Angèle s’est tue.


Seigneur Jésus, je pourrais ajouter encore d’autres épisodes qui me blessent, qui m’outragent, qui me demandent de prendre position vis-à-vis de mes voisins, de mes collègues de travail, de mon conjoint, de mes enfants…

Alors, Seigneur, lorsqu’un frère commet des fautes contre moi, combien de fois dois-je lui pardonner ?

Jusqu’à sept fois ?

Le doux Jésus lève les sourcils… :

Pierre, tu veux pardonner si peu de fois ?

Non, non, ce ne serait pas « la » bonne nouvelle si j’étais venu dans le monde pour pardonner seulement 7 fois.

Regarde l’histoire du monde, et même la tienne, et celle de tes proches.
Certes, elles sont construites autour de grandes batailles, de guerres, de disputes plus ou moins violentes, de séparations…

Mais ce n’est pas ce qui les fait continuer : c’est le pardon.

Les révolutions et la colère détruisent, dans la plupart des cas, ce qui a été construit. Pour reconstruire, il faut de la paix, il faut que quelqu’un arrête la spirale de la vengeance et dise :

« stop, donnons-nous la main, réconcilions-nous.»

Mon cher Pierre, ce n’est que le pardon qui permet l’édification de la première travée d’un pont….

Sans pardon, le fleuve déchaîné des émotions ne sera jamais franchi.

Alors, je te réponds : je ne te dis pas jusqu’à 7 fois mais jusqu’à 70 fois sept fois.


Ça fait beaucoup, mon Seigneur, ça fait trop !

Et qui t’a dit, Pierre, que c’était facile d’être mon disciple ?

Mon disciple doit être humble de cœur mais un titan de l’esprit.
La force du pardon ne se manifeste pas toujours par des aspects extérieurs, mais elle anime toujours de l’intérieur.

C’est cela, l’homme nouveau.

Sa volonté est d’acier.

Seigneur, Tu me demandes du surhumain….

Est-ce que le pardon accordé systématiquement ne sera pas pris pour un signe de faiblesse et une acceptation du mal ?

Tu sais bien que pour les gens, celui qui est réconciliant et facile à vivre est souvent considéré comme l’idiot du village.

Veux-tu vraiment que moi et d’autres de tes disciples soyons considérés comme des corniauds faciles à abuser.

           Mon cher Pierre, tu commets l’erreur déjà au départ de ton raisonnement.

Celui qui pardonne est plus grand que celui qui est pardonné.

La générosité dépasse le mal que l’autre nous a fait.

C’est cela le pardon :

  • la générosité, malgré l’avarice de l’autre,
  • la grandeur contre la petitesse,

enfin ,

  • l’ouverture dont l’autre n’est pas capable.

Non, non, mon cher ami, le pardon n’est pas un signe de faiblesse mais bien le contraire.

Ton successeur Jean Paul II a bien dit un jour :

« « L’homme qui pardonne et qui demande pardon comprend qu’il y a une vérité plus grande que lui ».

Laquelle ?

Je te réponds avec les paroles de l’écrivain américain qui avait adopté la France et réciproquement, un certain Julien Green, qui avait bien raison de dire :

« si Dieu cessait de pardonner une seconde, notre terre volerait en éclats. »

Tu comprends à présent ?

A chaque seconde, je fais un acte de pardon pour toutes les offenses, toutes les profanations, tous les péchés que l’homme commet.

Et je te le jure : il y en a un sacré paquet !

Je pourrais me mettre en colère, je pourrais éprouver de la rancune car je n’ai jamais mérité un tel traitement.

Cependant, si je me laissais envahir par ces sentiments, c’est Satan qui triompherait, c’est le mal qui aurait le dernier mot.

Le péché fait du mal et cause des dégâts mais le péché qui ne serait pas traité
par le baume du pardon détruirait tout, ne laissant même pas une pierre sur une autre pierre.

C’est sa logique de fonctionnement !

Alors, seulement, grâce au pardon, nous pouvons reprendre  avec précaution
tout ce qui a été cassé, dispersé, démoli, en vue de la reconstruction.
Celui qui pardonne est un constructeur.

Il est bâtisseur du Royaume des cieux, même si celui-ci est attaqué en permanence par les forces obscures.

N’oublie pas ce qu’a écrit ton frère de mission Paul :

« Aucun d’entre nous ne vit pour soi-même et aucun ne meurt pour soi-même».

Le pardon, c’est l’un des signes les plus manifestes que nous ne sommes pas égoïstes, mais que nous vivons pour l’autre, que les autres nous intéressent
tout simplement.

Alors, mon cher Pierre, pense aux commandements et ne garde pas rancune envers ton prochain. Pense à l’Alliance du Très Haut et sois indulgent pour qui ne sait pas.

C’est ça, ton titre de gloire.

Et si tu veux comprendre encore mieux, visionne ce vieux film de Marcel Pagnol : « La femme du boulanger ».[1]

Il narre l’histoire d’un amour trahi, bafoué… bref, tragique !

Néanmoins, grâce à la grandeur d’âme du boulanger, cette histoire est devenue une grande leçon de pardon.

Tout à la fin du film, la belle Aurélie rentre à la maison, contrainte, puisque son beau berger s’est enfui et l’a abandonnée.

Donc, elle revient à la maison, seule, abattue, désabusée.

Le boulanger ne s’attendait pas à la voir revenir mais…, en la voyant entrer, il la contemple de ses yeux incrédules.

Elle lui dit d’une voix éteinte : Pardon.

Et c’est très beau qu’elle l’ait dit car elle avait vraiment une bonne raison de se faire pardonner.

Cependant, ce que j’aime le plus, c’est la réponse du boulanger, interprété magistralement par Raimu.


Il dit :

Pardon, et de quoi ?

Aurélie essaye de s’expliquer :

Pardon pour ce que j’ai fait.
Et lui répond : Ce que tu as fait, qui te le demande ?

Le voilà, le pardon généreux, divin !

Le voilà, l’Evangile incarné !

Ensuite, le boulanger ajoute pour détendre l’ambiance :

J’étais un peu inquiet…, tu n’as pas froid ?

Puis il l’invite à s’asseoir pour manger : tu dois avoir faim ?

Et pour que le pardon qu’il a accordé à sa femme ne soit pas trop écrasant, trop humiliant, il lui avoue :

Aurélie, je me suis mal conduit quand tu n’étais pas là…,

J’ai pris des apéritifs.

Que c’est donc beau, le pardon qui n’écrase pas mais ouvre, une fois encore, une porte de secours !!!


[1] La Femme du boulanger est un film français réalisé par Marcel Pagnol, sorti en 1938, adaptation d’un épisode
du roman Jean le Bleu de Jean Giono.