Homélie : Toucher les blessures – 19 dimanche du temps ordinaire, année B, le 12 août 2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et st Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Toucher les blessures
19 dimanche du temps ordinaire, année B,
Le 12 août 2018

Lectures :
1R 19,4-8 : Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste…
Eph 4,30-5,2 : Oui, cherchez à imiter Dieu…
J 6,41-51 : je suis descendu du ciel…

Depuis quelques mois, je cherche des recettes pour maigrir dans l’espoir de retrouver ma taille de jeune homme. Bien évidemment, je privilégierais un régime facile, aux effets immédiats et, pourquoi pas, spectaculaires.
De surcroît, j’aimerais qu’il ne soit pas trop restrictif à vivre au quotidien.
Bref, j’imagine, comme tout le monde d’ailleurs, un moyen simple, efficace, peu contraignant.
La facilité avant tout !

Sans doute, comme vous pouvez le penser, j’ai trouvé sur internet des dizaines de cures, toutes plus alléchantes les unes que les autres. Chaque diététicien présente sa méthode comme étant la moins contraignante, mais cependant redoutablement efficace contre la bouée de graisse au-dessus de la ceinture.
De façon pratique, là où la facilité et le minimalisme sont mis en avant, les résultats sont bien minces et éphémères, en fin de compte.

En lisant le fragment de la lettre de Saint Paul apôtre aux Éphésiens, on trouve aussi une recette assez simple pour que le monde devienne meilleur.
Saint Paul était-il un spécialiste du marketing ?
Je l’ignore, mais je sais qu’il a déjà compris la nécessité d’exposer, en premier lieu, le bon côté des choses afin de ne pas décourager à l’avance les auditeurs.

Ainsi, sa recette est simple.
Elle commence par un avant-propos :
Frères, n’attristez pas le Saint-Esprit de Dieu.
Ensuite saint Paul énumère ce qu’il ne faut pas faire :
Amertume, irritation, colère, éclats de voix ou insulte, tout cela doit être éliminé de votre vie, ainsi que toute espèce de méchanceté.

Puis Saint Paul termine par des consignes positives :
Soyez entre vous plein de générosité et de tendresse.
Pardonnez-vous les uns aux autres. Vivez dans l’amour comme le Christ nous a aimés.
Point final !

Vous voyez bien, le régime proposé par notre sacré Paul apôtre tient en 4 lignes.
Il est élémentaire, clair, concis. Il ne reste qu’à le mettre à exécution pour obtenir à la clé les résultats recherchés, à savoir :
– la crasse de ce monde serait significativement diminuée !
– L’homme retrouverait enfin son image de jeunesse, à la ressemblance de son Créateur.

Mes frères et sœur bienaimés,
Vous savez comme moi que, malgré toute la science de l’Évangile qui enseigne la méthode pour que le Royaume des cieux apparaisse au mieux dans notre monde, la tâche se corse lorsqu’il s’agit de passer à l’acte.
Car là, on constate que les recettes miracles n’existent pas.
Autrement dit, les choses ne sont pas si simples que ça….

Pour augmenter la présence du royaume des Cieux dans ce monde, il faut beaucoup plus qu’une application fortuite et occasionnelle de bonnes consignes, même si elles proviennent d’un grand apôtre.
De surcroît, il ne faut pas chercher de moyens adaptés seulement du côté de l’homme, comme s’il était à lui-seul le sauveur du monde….
Pour changer en mieux les réalités qui nous entourent, il lui est indispensable d’aller au-delà de ses capacités et de ses propres forces.

L’histoire du prophète Élie dont nous avons entendu le fragment tiré du premier livre des Rois en première lecture, pourrait être pour nous très instructive.
Sans entrer dans les détails, je vous dirais qu’Élie se battait contre les faux prophètes d’une divinité cananéenne nommée Baal et contre son culte qui polluait la religiosité orthodoxe de ses compatriotes.
Dans son combat, il n’était pas tellement aidé… ce qu’il préconisait n’étant pas à la mode. Et l’on constate que le monde n’a pas tellement évolué depuis…

Élie était donc assez isolé, la femme d’Achab, roi impie d’Israël, une certaine Jézabel, originaire de Sidon en Phénicie, actuel Liban, pays de religion cananéenne, pourchassiat à mort les prophètes qui refusaient son dieu.
Les victimes qui tombaient sous les coups de Jézabel se comptaient par centaines.
Donc Élie, prophète reconnu, l’un de ceux qui n’ont pas plié, était devenu pour elle, bien entendu, un obstacle majeur. D’autant plus qu’il avait remporté quelques succès manifestes, dont celui du sacrifice au Mont Carmel, où il affronta et massacra 450 prophètes de Baal, proches de Jézabel et envoyés par Achab.
Malgré tout son engagement et des signes extraordinaires, Élie n’arrivait pas à inverser la tendance. Les juifs ne se convertissaient pas en masse à la foi de leurs pères.
Ici, la lecture d’aujourd’hui reprend le cours de l’histoire.
Élie est en fuite, car la reine, humiliée publiquement, folle de rage, le traque.
Elle veut sa tête puisqu’il a démontré l’impuissance de l’idole dans laquelle elle croyait.
A présent, Élie est épuisé… et pas seulement par une journée de marche dans le désert sous un soleil de plomb !
Il est découragé surtout par les maigres effets de son action ré-évangélisatrice et de ses impressionnants miracles. Il est infiniment déçu par l’infidélité récurrente de son peuple à la tête dure. Il en a assez !
Prêt à mourir, il s’écrie : Seigneur, c’en est trop !

La situation dans laquelle s’est retrouvé notre prophète n’est pas si rare que ça.
Combien de fois, après tellement d’entreprises, d’essais, de temps consacré, nous constatons que les choses ne s’arrangent pas, ne s’améliorent pas ?
Le désespoir nous saisit la raison,
L’amertume…. le cœur…
L’apathie…. la volonté.
On est au bord de gouffre. On est plus bas que terre….
L’avenir parait bloqué et opaque….
Et nous … et nous … dans tout cela, sans force pour faire un pas dans le noir…. et pourtant, si nous restions confiants dans le fait que Dieu n’abandonne jamais le juste dans l’épreuve, nous pourrions Le rencontrer vraiment. Sa force se manifeste dans les faiblesses.

Un certain Tomáš Halik, théologien tchèque, prêtre, sociologue des religions, écrivain, dans son livre, (malheureusement pas encore traduit en français), intitulé Toucher les blessures, écrivait :
Il est une chose intéressante que le Dieu de la Bible, le plus souvent, s’adresse aux gens qui sont en marge ou carrément fort nécessiteux.

Il y a du vrai dans cette remarque : Noé, Abraham, Moïse, Jacob, et son fils Joseph vendu par ses frères pour trois sous. Et plus proche de nous, Marie, jeune fille sans grande importance, ou bien les apôtres choisis en majorité parmi de simples pêcheurs….
Aujourd’hui, il n’en est pas autrement : les biographies des saints décrivent souvent que les plus belles rencontres avec Dieu se réalisaient lorsque les difficultés s’accumulaient au point de devenir insurmontables du point de vue humain.
Et là, lorsqu’on gardait confiance en Dieu, malgré toute attente, tout à coup, le ciel s’ouvrait, des solutions se présentaient, les obstacles disparaissaient.
Le moyen le plus sûr de rencontrer Dieu en action dans notre vie, c’est d’être mis au pied du mur.

Certes, Dieu se manifeste aussi dans d’autres situations, moins dramatiques, mais les difficultés insurmontables favorisent l’accès au mystère de Dieu.
Ce n’est pas pour rien que les gens en situation de crises, de guerres atroces, de graves maladies se tournent beaucoup plus aisément vers Dieu.
Lorsque rien ne peut lui porter secours, l’homme, assez spontanément, se rabat sur le Créateur, son dernier espoir.

Il y a un récit qui parle de saint Martin, celui-là même qui a partagé son manteau d’officier romain avec un pauvre.
Ainsi raconte-t-on qu’un jour, Satan lui est apparu sous les traits de la personne même du Christ.
Saint Martin ne s’est pas laissé berner par les apparences.
Il demande énergiquement :
Où sont-elles, tes plaies ?

Mes chers frères et sœurs bienaimés,
Le père Tomáš Halik, dans le même livre, propose que chaque disciple du Christ soumette sa foi en Dieu au test de saint Martin.
Il se confie : je ne crois pas aux dieux et je ne crois pas aux fois qui font danser le monde sans toucher ses douleurs ; ceux sans balafres, sans cicatrices et sans brûlures qui n’offrent avec insistance sur le marché contemporain de la religiosité, que de brillants attraits.

Si Dieu a secouru le prophète Élie, c’est que Lui s’est débarrassé de sa présomption de vouloir à lui seul changer le monde.
Il a fallu qu’Élie se mette symboliquement à nu devant Dieu et reconnaisse ses limites.
Il a fallu qu’il s’abandonne complètement à Dieu pour que Dieu puisse de nouveau rentrer dans sa vie.

Je pense, mes frères bienaimés, que vous l’avez compris :
Il est bien difficile de découvrir une foi profonde, ferme, assurée et vigoureuse sur la 5ème Avenue à New York ou dans une boutique de luxe des Champs-Elysées à Paris…
La vraie foi en Dieu demeure à l’arrière-plan du combat, entre le doute et la certitude…, entre l’hésitation et l’assurance…, entre l’abandon et la poursuite…
La foi nait là où il n’a rien à obtenir, rien à espérer ni de ce monde-là, ni des relations humaines, ni de soi-même.
La foi véritable est un abandon en Dieu, tel celui de l’enfant qui saute dans les bras de son père ou se blottit contre le cœur de sa maman….
C’est une confiance totale.

Amen