Homélie : Ai-je de l’ambition 11 Dimanche du Temps ordinaire, année B, le 17 juin 2018. Messe dominicale avec la 1ére Communion

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Ai-je de l’ambition
11 Dimanche du Temps ordinaire, année B, le 17 juin 2018
Messe dominicale avec la 1 Communion

Lectures :
Ez 17,22-24 : A la cime du grand cèdre, je prendrai u tige…
2 Co 5,6-10 : Notre ambition, c’est de plaire au Seigneur.
Mc 4,26-34 : Il en est du règne de Dieu comme d’un homme qui jette en terre la semence…

Mes chers amis,
Aujourd’hui, je commencerais volontiers par une question peut-être étonnante et pourtant nécessaire pour entrer dans le vif du sujet dont les lectures bibliques de ce dimanche nous parlent.
J’espère que vous êtes prêts à l’entendre…

Quelle est l’ambition ou quelles sont les ambitions de votre vie ?
Peut-être cherchez-vous à acheter une belle maison, assez vaste, avec une belle vue, située au calme ?
Peut-être pensez-vous grimper d’un échelon dans votre entreprise et décrocher un meilleur salaire ?
Ou bien, pour plusieurs d’entre vous, l’ambition du moment était de préparer un accueil chaleur et une belle table pour tous ceux qui viendront aujourd’hui chez vous pour fêter la Première Communion de votre enfant ?
Ou bien êtes-vous préoccupé par l’éducation de vos enfants et souhaitez-vous qu’ils suivent de bonnes filières universitaires qui leur réserveraient un avenir prometteur ?
Ou, tout simplement, vos ambitions se limitent-t-elles au choix du lieu de vos prochaines vacances et aspirez-vous tout simplement à une vie tranquille et confortable ?

Ne vous inquiétez pas : quoi que vous répondiez, je ne vous jugerai pas.
Chacun de vous a droit aux ambitions selon ses désirs profonds.

Cependant, si je vous en parle, c’est pour pousser vos propres ambitions encore plus loin. Je voudrais qu’elles s’envolent vraiment et atteignent le ciel.
Qu’elles décollent réellement, car le chrétien – le disciple du Christ – est un homme des sommets, un montagnard ambitieux qui, tout en gardant bien fort le pied rivé sur la terre, vise les hauts sommets.
Étonnant ?

Vous pourriez me dire :
mon père, vous nous parlez de l’ambition et pourtant n’est-elle pas la sœur de l’orgueil et la cousine des prétentions démesurées ?
Comment pouvez-vous affirmer que les chrétiens devraient avoir de l’ambition ?
Ne devraient-ils pas être, plutôt, simples et humbles de cœur ?

Me parlant ainsi, vous n’auriez pas tout à fait tort.
Depuis toujours, nous tous entendons des prêches, des discours et des enseignements allant dans ce sens-là.
On a fini par bannir complètement le mot ambition du vocabulaire chrétien.
C’est en vain qu’on le cherche dans les dictionnaires de théologie et de spiritualité. A la lettre A, il faut se contenter d’«Abnégation » et d’«Abandon ».
A croire, diront certains, que la seule ambition du chrétien serait de n’en point avoir. Emmanuel Mounier, philosophe catholique à l’origine du courant personnaliste en France, devrait nous être connu, car il a été entre autres professeur au lycée du parc à Lyon. Ainsi lui, sous l’aiguillon de la critique nietzschéenne, reprochait aux chrétiens de s’être laissés envahir par « le lyrisme de l’impuissance » et « le goût morbide de l’insuccès », au point d’avoir fait de leur religion « le pseudonyme de la cohabitation des faibles et des peureux ».
Un autre personnage, également un peu lyonnais, Fréderic Ozanam, qui habita Lyon tout en faisant ses études au collège royal de Lyon, aujourd’hui Collège-Lycée Ampère, est allé encore plus loin. Ozanam donc, cofondateurs de la société de Saint-Vincent-de-Paul, professeur à la Sorbonne, historien précurseur, chrétien convaincu qui, de surcroît, fut béatifié par Jean Paul II lors des JMJ à Paris en 1997, quant à lui, pensait même que la résignation est «le fond même du christianisme».
Face à de telles constatations, il est donc bien manifeste que l’ambition n’a pas bonne presse auprès des chrétiens. Elle est suspecte, d’avance…

Néanmoins, je puis vous assurer que même les saints se trompent parfois….

Tout d’abord, je vous renvoie à nos grands classiques de la littérature pour constater que l’ambition n’est pas forcement mauvaise en soi.
Corneille, dans sa tragédie la Mort de Pompée, met dans la bouche de Cléopâtre -amoureuse de Jules César et le désirant fortement – l’exclamation suivante : j’ai de l’ambition et, soit vice ou vertu,
Mon cœur sous son fardeau veut bien être abattu;

Et le grand Blaise Pascal, dans son œuvre intitulée Discours sur les passions de l’amour, n’hésite pas à affirmer qu’une vie est heureuse quand elle commence par l’amour et qu’elle finit par l’ambition. Si j’avais à en choisir une, je prendrais celle-ci.

L’amour et l’ambition, quel drôle de couple… dirait-on ?
Pourtant, pour Pascal, connu pour son rigorisme, ses penchants jansénistes, et pour l’abbaye parisienne de Port-Royal où sa sœur cadette Jacqueline était religieuse, l’amour et l’ambition ne font pas un ménage si exotique que ça. Parce que l’ambition peut être aussi entendue en un sens général comme motivation, désir, recherche, voire travail assidu.

Certes, nous avons du mal à porter spontanément un regard bienveillant sur quelqu’un de qui l’on dit : c’est une personne ambitieuse.
Cependant, en réalité, nous ne voyons pas non plus d’un bon œil celui de qui on dit : il est un homme sans ambition.
Dans le recueil de nouvelles de David Thomas, titré Je n’ai pas fini de regarder le monde, l’un des protagonistes avoue avec fierté et assurance – passez-moi l’expression, mais c’est une citation- :
Moi j’en ai rien à foutre d’être quelqu’un. Je suis un mec sans ambition.
Moi mon bonheur, c’est la pêche et le pastaga. Tu vois, ça va pas chercher bien loin.

Effectivement, une personne qui pense ainsi n’est pas du tout un exemple à suivre. D’autant plus par nous, chrétiens !
Parce que nous, nous avons de l’ambition !

Et qui n’est pas n’importe laquelle. Saint Paul, dans sa deuxième lettre aux Corinthiens, lui donne une direction bien définie : notre ambition – écrit-il, c’est de plaire au Seigneur.
Et pour éviter la lecture erronée et narcissique de sa pensée, l’Apôtre des nations précise dans une autre lettre, écrite cette fois-ci aux Romains : le Royaume de Dieu ne consiste pas en des questions de nourriture ou de boisson ; il est justice, paix et joie dans l’Esprit Saint.
Celui qui sert le Christ de cette manière-là plaît à Dieu.

Alors, mes frères et sœur bienaimés, si vous me suivez bien, vous comprenez que partout où la justice et la paix sont en jeu nous ne pouvons être
ni minimalistes ni conformistes, ni consensuels… parce qu’au fur et à mesure que nous resterons fidèles à l’Esprit Saint, la croissance du royaume des cieux dans le monde augmentera.

D’ailleurs, la croissance est le meilleur indice que notre ambition est saine et inspirée. Si peu ou rien ne croît dans notre famille, dans notre vie de tous les jours, dans notre paroisse, dans notre pays, c’est un signe inéluctable de vieillissement spirituel et, même, biologique.
Jacques-Bénigne Bossuet, évêque, prédicateur, écrivain à l’époque du roi Soleil, que certains voient comme « le plus grand orateur peut-être que le monde ait connu » a malicieusement remarqué :
De l’ambition, quand un certain âge est passé, où l’on n’a plus assez de force pour la soutenir, on va se perdre dans l’avarice.

Vous êtes donc prévenus, mes chers amis :
Afin que nos ambitions ne tournent pas « au vinaigre » et n’incarnent pas l’avidité du pouvoir et des honneurs mondains pour en jouir égoïstement, elle doit être centrée sur Dieu, tournée vers le prochain… et follement généreuse.
La sainte ambition, si je puis dire, est celle qui croît d’une façon vertigineuse.
Elle est donc comme la semence qui, une fois tombée en terre, germe et grandit, donnant l’épi gorgé de grains de blé dix fois, vingt fois, trente fois plus nombreux qu’au départ.

Elle est comme une graine de moutarde dont nous parle aussi l’Évangile du jour qui, en grandissant, se dépasse – se surpasse – des centaines de fois !
Savez-vous que la plante qui jaillit de cette petite graine, en Palestine, peut atteindre 3 à 4 mètres hauteur ?
Sa croissance est donc extraordinaire, permettant ainsi à toutes sortes d’oiseaux de s’abriter sous son ombre.

Et justement, l’ambition au sens évangélique ne porte jamais ombrage à qui que ce soit, bien au contraire, puisqu’ elle crée de l’espace vital à autrui.
Elle-même, extrêmement prolifique, favorise la fertilité des autres.
Les saints de notre mère-chérie l’Église en témoignent….
Ils ne sont pas devenus modèle pour nous seulement parce qu’ils étaient gentils avec tout le monde et ne disaient pas de gros mots. Ce serait trop restrictif.
Si nous les regardons avec admiration, c’est parce qu’ils visaient haut.
Ils visaient le ciel.
Leur véritable ambition était de transformer en mieux le monde entier, l’Église, leur paroisse, leur environnement le plus direct….
Auriez-vous de pareilles visées ???
Sans doute vous en avez quelques-unes : pour vous-même, pour votre famille, pour votre travail… Mais en avez- vous également pour votre paroisse et votre vie intérieure ?
Toute amélioration, tout progrès ne dépendront que de votre ambition et de la volonté de la mettre en œuvre par un travail assidu…. et la bénédiction de notre Seigneur. Car comme dit le psaume 126 : Dieu comble son bienaimé même quand il dort (Ps 126,2). Ce qui, en langage populaire, peut se traduire par le fameux dicton : « aide-toi, le ciel t’aidera »*.

Mes chers enfants….
Aujourd’hui Dieu lui-même descendra en l’Eucharistie jusqu’à votre cœur.
Après la communion, Il y séjourna. Vous deviendrez donc porteurs de Dieu – tabernacles ambulants. Je vous prie… et je prie pour cela au cours de cette Sainte Messe que vous ayez l’ambition d’être de véritables disciples du Christ qui veulent et feront tout pour que le monde soit meilleur et par conséquent que le Royaume des Cieux s’étende de plus en plus.
Ainsi soit-il

*Cfr., Jean de la Fontaine, Le Chartier embourbé, dans Fables, livre sixième, 1692-94