La vie est-elle la valeur la plus importante pour l’homme ? 7ème dimanche de Pâques, année A, le 24 mai 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

La vie est-elle la valeur la plus importante pour l’homme ?
7ème dimanche de Pâques, année A, le 24 mai 2020

Lectures :
Act 1,12-14 : Les disciples réunis dans la prière après l’Ascension
1 P 4,13-16 : …. Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas honte…
J 17,1b-11a : La grande prière de Jésus : Père, glorifie ton fils…

Avant-hier soir, donc tout récemment, nous avions rendez-vous avec Mgr le Gal, l’un des évêques auxiliaires de notre Diocèse, en vue du sacrement de confirmation qu’il viendra célébrer sur notre Paroisse le 20 juin prochain.
Je n’étais pas seul : Sœur Krystyna, la responsable du groupe et 9 jeunes futurs confirmés étaient présents également.
Après notre rencontre avec l’évêque, je voulais offrir un verre de boisson, non alcoolisée bien évidemment, à nos jeunes. A Lyon, encore à moitié désert, le choix était réduit a minima. Finalement, on s’est décidés pour des kebabs et des canettes de boissons fraîches.
Tout en mangeant sur la pelouse située à côté du clocher – seul vestige de l’ancien Hôpital de la Charité, tout près de la place Bellecour – nous avons entamé la discussion. Tout d’abord légère, quand même, car nous ne nous étions pas vus depuis deux mois. Ensuite, elle a viré vers des sujets plus sérieux, tournant entre autres autour du covid-19, du confinement et des crises liées à la pandémie. A un moment donné, j’ai posé la question à l’une des jeunes :
la vie est-elle la valeur la plus importante pour l’homme ?

Spontanément, elle m’a répondu : Bien sûr. Sans la vie, il n’y a rien.
D’autres jeunes, d’un hochement de tête, la rejoignaient dans sa réponse :
eh oui, la vie, c’est le plus important.

Alors, pour montrer mon désaccord et l’argumenter, je leur ai donné un exemple :
Imaginez-vous, si vous étiez tombé malade et en plus, gravement, qu’attendriez-vous des autres ?
Qu’ils vous soignent, que quelqu’un vous donne un verre d’eau ou apporte jusqu’à vos lèvres une cuillerée de soupe ?

Eh oui, c’est évident – m’ont-ils répondu.

Je poursuivais donc, tout en sachant que je les aurais un instant plus tard.
Vous voudriez bien que quelqu’un s’occupe de vous.
Cependant, il pourrait n’y avoir personne pour cela car, au nom de ce que vous avez dit précédemment – que la vie est la valeur la plus importante – pourquoi l’autre devrait-il prendre le risque que vous le contaminiez ?
Pourquoi les aides-soignants – dont le salaire ne vole pas haut – devraient-ils se sacrifier pour vous ?
Pourquoi votre conjoint, vos enfants, votre voisin, vos amis devraient-ils s’exposer à un danger si leur vie est aussi pour eux la valeur qui se trouve au sommet de l’échelle ?
Il n’y aurait aucune raison, n’est-ce pas ?

Les jeunes ont été vraiment interpellés.
Alors j’ai terminé ainsi :
Certes, la vie fait partie des valeurs importantes pour l’homme, je ne dirai pas le contraire. Néanmoins, il y en a de plus importantes que la vie, dans certaines situations.
J’en énumère quelques-unes : le devoir d’état, la fidélité, l’honneur, la famille, la foi, la vérité…

Mes frères et sœurs bienaimés,
Si je vous ai relaté cet échange, c’est que le texte de la 2ème lecture que nous avons entendue m’y avait fait penser…
St Pierre apôtre y parle de la souffrance que les Chrétiens peuvent endurer dans leur vie. Il en rajoute même une sacrée couche : réjouissez-vous-en !

Quoi ?
Etre content, voire joyeux de souffrir, c’est quoi, ce bigntz ?

Puis l’apôtre clarifie son propos ainsi :
Que personne d’entre vous, en effet, n’ait à souffrir comme meurtrier, voleur, malfaiteur ou comme agitateur.
Mais si c’est comme chrétien, qu’il n’ait pas de honte et qu’il rende gloire à Dieu pour ce nom-là.

De cette manière, si je souffre comme chrétien, je communie aux souffrances du Christ, je me configure à Lui et je participe à l’œuvre de salut.

Cependant, pour être honnête, il faut préciser une chose fondamentale qui parfois, dans le passé, virait vers des dérives sectaires.

Il y eut des périodes où la souffrance en soi était considérée comme méritante.
Il suffisait de souffrir, se laisser battre, tout accepter au nom de l’humilité pour être considéré comme un bon Chrétien.
Le Chrétien n’est pas un masochiste, un souffre-douleur volontaire, un sac de frappe sur lequel l’humanité frustrée et insatisfaite peut se défouler.
Ne confondons pas le conformisme, la lâcheté, la peur… et le choix courageux.

Une certaine Oriana Fallaci, essayiste et journaliste italienne décédée en 2006, dans son livre sorti après l’attentat du 11 septembre 2001 pendant lequel les deux tours emblématiques de New York se sont écroulées, écrivait :
… il y a des moments dans la vie où se taire devient une faute et parler une obligation. […] [1]
Ceux qui prétendent n’avoir pas peur à la guerre sont des crétins et des menteurs en même temps. Mais dans la vie et dans l’Histoire, il y a des situations où il n’est pas permis d’avoir peur. Des situations où avoir peur est immoral et barbare. [2]

Et tout cela, le Chrétien le sait… par conséquent, la souffrance, la perte de la vie, la guerre pour défendre sa patrie, sa famille, le plus faible sont acceptées.
Plus que la vie, il y a des valeurs suprêmes à défendre car tout simplement il s’agit de la dignité d’homme et de sa différence d’avec le monde animal.
L’homme ne devrait pas agir seulement pour survivre… ou pour protéger les siens…, ce serait mesquin.
L’homme est créé pour construire un royaume…, le royaume des cieux et, pour cela, il est appelé à devenir saint en vue de la vie éternelle, ce qui implique qu’il doive se dépasser, se surpasser !

Tout chrétien ne devrait pas penser autrement car le maître, Jésus le Christ, fut le premier à montrer l’exemple…, faisant le bien partout et prêchant la vérité… se laissant crucifier injustement en vue du salut de la multitude.
L’Histoire de l’Eglise, notre mère chérie, est remplie des actions héroïques des martyrs qui ne cherchaient pas du tout à souffrir ou à perdre la vie, mais la situation était telle qu’ils n’avaient pas le choix, sauf de se contredire et de se confondre.

Et aujourd’hui, les temps qui sont les nôtres nous placent devant, comme autrefois, de multiples alternatives et des échelles de valeurs à géométrie variable dont la valeur de la vie est très haut placée.
Nous ne devons pas la refuser.

Affirmons aussi la vie comme une valeur importante mais pas exclusive.
C’est cela, la vraie différence entre nous et le monde et ce qui fait de nous des disciples du Christ. Ne l’oublions jamais.

Et, pour finir et pour que vous mémorisiez mieux le sujet que je viens d’aborder, je vous conseille de lire l’un des Contes du lundi écrit par Alphonse Daudet, écrivain très connu grâce aux Lettres de mon moulin.
Le titre du conte en question donne déjà le ton : Le mauvais zouave.

L’auteur y narre les péripéties du fils ainé du grand forgeron Lory, habitant à Sainte-Marie-aux-Mines. Nous sommes à l’époque de la guerre contre la Prusse, en 1870.
Comme vous le savez, les choses tournaient mal et les Allemands prenaient l’avantage. Le forgeron s’indigna en voyant la démobilisation des troupes françaises, des déserteurs vagabondant, la France mal en point.
Mais il était trop vieux pour se battre.
D’ailleurs, son fils y était déjà, alors que lui devait rester à la maison pour nourrir sa nombreuse famille.
Il ne se doutait pas qu’en rentrant un soir à la maison, il y retrouverait son fils …, déserteur.
Entendant le bruit dans la cour, la mère du pauvre déserteur le cacha.
Elle voulait préparer son mari à cette rencontre inattendue. Elle était toute joyeuse car son fils revenait vivant et la guerre, elle s’en moquait, mais elle savait que pour son mari, il en était autrement.
La cachotterie ne dura pas longtemps : le forgeron découvrit son fils Christian.
La situation devint lourde.
La femme ne dormit pas de toute la nuit, de peur que son mari ne tue pas son fils. Le forgeron non plus ne s’était pas couché. Jusqu’au matin, il marcha dans la maison, pleurant, soupirant, ouvrant et fermant des armoires…
Au matin, il entra brusquement dans la chambre de son fils, et sèchement lui commanda de venir avec lui.
Il l’amena à la forge, sans dire un mot.
D’un ton sec, il lui expliqua que tout cela, tout son héritage, toute la forge était à présent à lui…, les ruches, les vignes, la maison aussi. Il lui dit :
Puisque tu as sacrifié ton honneur à ces choses, c’est bien le moins que tu les gardes… Te voilà maître ici… Moi, je pars ».
Tu dois cinq ans à la France, je vais les payer pour toi.
Lory, Lory, où vas-tu ? cria la pauvre vieille
Père !… supplia l’enfant.
Mais le forgeron était déjà parti, marchant à grands pas, sans se retourner.

Le conte finit avec la phrase suivante :
A Sidi-bel-Abbès, au dépôt du 3ème zouaves, il y a depuis quelques jours un engagé volontaire de cinquante-cinq ans. [3]        

Vous comprenez : la France a perdu la guerre mais grâce à des gens comme le forgeron Lory, elle a gardé la force de se relever un jour.

Je finirai avec la citation tirée du beau, même s’il est ancien, film intitulé La fille du puisatier.
C’est Patricia Amoretti, la principale protagoniste du film, qui l’a prononcée après avoir écouté religieusement le message du maréchal Pétain diffusé par la radio, déclarant qu’il vient de demander l’armistice aux Allemands.
Nous sommes cette fois-là en 1940 :
Son père, Pascal Amoretti, dit avec résignation :
On a perdu la guerre.
Monsieur Mazel, riche propriétaire, père du garçon déclaré mort à la guerre et qui avait fait l’enfant à Patricia juste avant son départ en guerre:
Je ne sais pas, je ne comprends pas.
Madame Mazel, enragée avec les dents serrées :
Moi, je comprends… notre fils est mort pour rien.

Alors Patricia s’approcha d’elle et, d’une voix assurée, prononça cette magnifique phrase que je veux vous offrir aujourd’hui :
Non, Madame, non ce n’est pas vrai !
La France est battue mais si tous ces hommes revenaient demain, tous sans exception. S’ils revenaient vaincus, joyeux et bien portants en chantant des chansons de route, il n’y aurait plus de France. Et même on pourrait dire que la France n’était pas une patrie. Ils n’ont pas sauvé la France mais ils l’ont prouvé : les morts des batailles perdues sont la raison de vivre des vaincus… [4]

Alors, prouvons, nous aussi, qui nous sommes.

Amen

[1] Oriana FALLACI, La rage et l’orgueil, Plon, 2002, p.16
[2] Idem., p.98-99
[3] Alphonse DAUDET, Contes du lundi, éd. Fasquelle, 1966, pp. 73-79
[4] La Fille du puisatier est un film français écrit et réalisé par Marcel Pagnol, sorti en 1940 et interprété notamment par Raimu, Fernandel et Josette Day.