Où est le péché ? Je vais vous le dire ! Nous l’avons tué. 1er dimanche du carême, année A, le 1 mars 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Où est le péché ?
Je vais vous le dire ! Nous l’avons tué.
1er dimanche du carême, année A, le 1 mars 2020

Lectures :
Gn 2,7-9 ; 3,1-7a : Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol…
Rm 5,12-19: L’accomplissement de la justice par un seul a conduit tous les hommes à la justification
Mt 4,1-11 : Les tentations de Jésus

Dans le paragraphe 125 du Gai Savoir de Frédéric Nietzsche, intitulé l’Insensé, nous retrouvons :
Un homme qui court sur la place du marché avec une lanterne en plein midi, en criant sans cesse : « Je cherche Dieu ! Je cherche Dieu ! »
Devant un public hilare et moqueur, il explique sa quête :
Où est Dieu ? cria-t-il.
Je vais vous le dire ! Nous l’avons tué – Vous et moi !
Nous tous sommes ses meurtriers ! » [1]

Paraphrasant ce texte-là, je pourrais le présenter de la manière suivante :
Où est le péché ?
Je vais vous le dire ! Nous l’avons tué – Vous et moi.

L’homme contemporain et la société d’aujourd’hui, ont tout fait pour évacuer de l’espace public la notion de péché. Le fait d’admettre le péché a été anéanti, réduit à rien, sous prétexte qu’autrefois il était assimilé et confondu avec la culpabilité morbide et la sous-estime de soi.
Alors l’homme, pour retrouver sa dignité, du moins le pensait-il, encouragé par la psychologie centrée sur l’ego a décidé de faire fi du péché et tout bonnement, depuis, il vit sans péché… à l’instar de la Sainte Vierge.

Pardonnez-moi cette ironie…
Même si nous pouvions nier par tous les moyens l’existence des péchés, il suffirait de regarder autour de nous, d’écouter les informations, de revoir les lois en vigueur et celles en voie d’être légiférées, voire même de regarder certains panneaux d’informations de mairies comme celui de Lissieu sur lequel j’ai pu lire, hier ou avant-hier : Attention à la recrudescence des cambriolages.
Ainsi suffit-il donc d’être face à la réalité pour constater que le péché se porte bien…
Mais le péché n’est pas comme la neige, il ne tombe pas du ciel. Nous ne devrions donc pas chercher ses sources au-dessus de nos têtes, mais plutôt dans les bas-fonds de notre cœur.
Je pense que le premier texte biblique qui nous est offert aujourd’hui, tiré du livre de la Genèse, nous est fort utile. Son auteur essaie de comprendre l’origine du mal… essaie de trouver le patient zéro du corona-péché, afin de limiter sa portée et sa propagation.

Mes frères et sœur bien aimés,
Sans comprendre le mécanisme du péché, nous ne pourrons jamais le combattre efficacement. Un diagnostic réaliste s’impose donc.
Mais auparavant, je ferai une remarque préliminaire : l’analyse de l’auteur inspiré du texte en question n’est pas totale. Elle n’apporte que quelques bribes de réponse.

Tout d’abord, scrutons le paradis : la vie de l’homme y est paisible, sans soucis, sans temps, sans contraintes, sous le soleil rayonnant de l’amour de Dieu.
Tout est à lui mais pourtant… il n’en possède rien.
Il peut se réjouir réciproquement de l’autre personne et de sa beauté….
Ni l’envie, ni le mauvais l’œil ne perturbent le regard des premiers parents… jusqu’à… l’arrivé d’un tiers, représenté sous l’espèce d’un serpent.
Il n’arrive pas en face…
Il s’assoit de côté, et… mine de rien, entame la conversation…
Il s’insinue ainsi dans l’histoire de l’humain…
Il le fait douter de ses acquis,
Et Ève l’écoute.

A présent, faisons un saut dans l’époque qui est la nôtre pour comprendre ce qu’il vient de se passer…
Imaginez, et j’espère que c’est votre cas, que vous vivez heureux. Vous avez tout ce qui vous est nécessaire pour nager en plein bonheur…
La santé, une belle et aimante famille, votre maison déjà acquittée, elle est intégralement à vous, un petit jardin bien entretenu l’entoure, votre voiture à boîte automatique et sièges en cuir est bien confortable et satisfaisante…
vous avez aussi les moyens de partir en vacances… pas une folie ni en jet privé mais régulièrement.
Cependant, il suffit qu’une tierce personne, un copain, un ami d’enfance vienne chez vous et vous dise :
Tu sais que ton voisin, celui de droite, que tu n’aimes pas particulièrement, déménage ?
Et tu sais quoi, il s’est offert une splendide villa sur la côte d’Azur, 250 mètres carrés, entourée d’un terrain planté de pins et de palmiers, avec une terrasse donnant sur une baie…
Pas mal, n’est-ce pas ?
Ou encore, qu’il vous dise :
Ton cousin du côté de maman, il s’est acheté une Maserati…
Ou encore,
Ton ancien chef de service est parti en croisière pour 3 semaines en se payant le paquebot le plus luxueux du monde, un certain Seven Seas Explorer.

A l’annonce de ces nouvelles qui, en soi, n’ont rien de mauvais, souvent, hélas, trop souvent, votre bonheur si apprécié auparavant va voler en éclats.
Subitement, votre maison perdra tout son charme, votre situation financière vous semblera modeste, et votre voiture trop vieille, trop lente, trop petite…

Cet exemple imaginaire démontre que le Malin se sert souvent de l’autre.
Il distille le venin de ses paroles dans des conversations banales, dans les situations de tous les jours…
Il crée des envies que l’on n’a jamais eues auparavant… Il suggère que le mieux est ailleurs… Il ne fait entrevoir que le côté clinquant des choses…

L’auteur biblique a bien saisi notre inclination à nous laisser influencer par l’autre…
Il remarque aussi que le séducteur – le mal – n’attaque pas frontalement…
Il choisit un complice…
Il lui chuchote à l’oreille…, lui semant le doute… Il le met de son coté, et une fois chose faite… tous les deux entreprennent le troisième.
Du coup, ce dernier pense que la majorité ne peut pas se tromper et, par conformisme, il accepte de la suivre.

Si nous analysons ce qui se passe actuellement dans notre cher pays autour de la législation contre la famille composée d’un père et d’une mère et autour du droit à l’enfant, nous voyons bien tout ce processus de ramollissement de la société, lequel ne date pas d’hier !!!
Il suffit de passer en revue les 30 dernières années pour se rendre compte des changements de la société… et de ses prises de position vis-à-vis des sujets dits sociétaux.
L’inacceptable est devenu, dans un premier temps, toléré, puis admis, et enfin imposé à tous par une loi… pour finir comme pensée dominante qui ne tolère aucune controverse et poursuit ceux qui ne pensent pas
comme tout le monde.

Ainsi, notre société est atteinte de plus en plus par l’anomie [2], qu’on peut définir comme l’absence ou la dégradation de l’influence de normes morales objectives sur la conduite des hommes. L’homme devient, sans même s’en rendre compte, progressivement, amoral.
Et que pouvons-nous facilement observer à présent ?
Que les lois se multiplient vitesse grand V et la société en est déréglée de plus belle !
Un vrai sujet à méditer en ce temps de carême.

Mes frères et sœurs bien aimés,
Je poursuivrai encore avec cette toute dernière idée très bien saisie par l’auteur du livre de la Genèse.
Il y remarque que nos premiers parents, une fois après avoir commis le péché, se voient nus…
Plus exactement, leurs yeux s’ouvrent… Ils se découvrent nus…
Eh oui, mes frères bien aimés !
Avant de commettre une infraction, une bêtise, de proférer une insulte ou commettre toute autre espèce de mal, nous avons l’impression que nous nous enrichissions d’une manière ou d’une autre.
Que nous sommes sûrement gagnants dans l’affaire…

Pourtant, le péché, une fois commis, nous dévêt très vite de nos illusions…
Tout à coup, nous nous découvrons complètement nus…
Nus… surtout devant nous.
Presque spontanément, nous nous posons les questions : c’est moi qui ai commis cette infamie ? C’est moi qui étais si horrible, si injuste ?
Les criminels allemands de la 2ème guerre mondiale, durant le procès de Nuremberg, détournaient la tête lors des projections des films prouvant les atrocités commises par les nazis.
Ceux qui avaient fait tant de mal de leurs propres mains ou de leur plume en signant les exterminations massives de leurs victimes, une fois confrontés aux effets de leurs crimes, étaient mis à nu devant le monde entier mais surtout devant eux- même.
Ils ne pouvaient guère le supporter !

Chacun de nous face à son péché ressent un tel sentiment de nudité…
c’est-à-dire la mise en vérité sur soi-même.
On peut toujours mentir aux autres, on peut toujours prendre soin de ses apparences, mais il est vraiment difficile, voire impossible, de se mentir à soi-même.

Que devons-nous donc faire quand la vérité nous éclate en pleine figure ?
Que faire si nous nous découvrons nus ?

Certes, peut-on essayer de rester dans le déni de notre état de vie.
D’ailleurs, la société actuelle facilite la vie sans aucune véritable responsabilité morale. Elle règle tout par les lois… qui ne sont pas toutes morales, mais en sont souvent même très loin…
Alors, on reste sans rien faire, en pensant : pas vu pas pris…
A l’instar du Tartuffe, qui disait :

Le scandale du monde, est ce qui fait l’offense;
Et ce n’est pas pécher, que pécher en silence. [3]

Ou bien – et cela serait la juste réaction permettant d’avancer et de sortir de l’emprise du mal – sortir des buissons et se présenter devant notre Dieu, notre Père, en toute nudité, pauvres que nous sommes,
Et lui dire :

Seigneur j’ai péché contre Toi et contre mon frère…,
Je ne suis pas digne de porter le nom de ton fils…
Mais je t’en prie :
revêts-moi à nouveau de ta grâce.

Car c’est ça, au fond, le sacrement de réconciliation et de pénitence, communément appelé sacrement de confession.
Pendant la confession sincère, Dieu nous ré-habille …
Il nous rend la dignité d’être son enfant…
Il nous prend par la main pour nous permettre de passer pardessus de nos échecs…

 

[1] Yannick HAENEL, François MEYRONNIS, Valentin RETZ, Tout est accompli, éd. Grasset, Paris 2019, p.125

[2] Introduit en 1893 par Émile Durkheim, le terme anomie (du grec ἀνομία / anomía, du préfixe ἀ- a- « absence de » et νόμος / nómos « loi, ordre, structure ») est un concept fondamental en sociologie. C’est la diminution des moyens traditionnels de contrôle. (in : https://fr.wikipedia.org/wiki/Anomie )

[3] Molière, Le Tartuffe, IV, 5, v.1504-1505