Nous ne sommes pas des Peter Pan Ascension du Seigneur, année A Le 21 mai 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Nous ne sommes pas de Peter Pan
Ascension du Seigneur, année A
Le 21 mai 2020

Lectures :
Act 1,1-11 : Cher Théophile, dans mon premier livre…
Ep 4,1-13 : Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur…
Mc 16,15-20 : Allez dans le monde entier. Proclamez l’Evangile à toute la création…

Mes chers frères et sœurs bienaimés,
Parfois, nous sommes un peu déçus que notre maître Jésus nous ait quittés pour aller s’asseoir à la droite de son Père qui est aussi le nôtre.
Pourquoi n’a-t-il pas voulu rester parmi nous ?
Pourquoi, après sa résurrection spectaculaire démontrant qu’Il est le vrai Dieu, s’est-il décidé à nous quitter ?
N’aurait-il pas été bien qu’Il reste avec nous jusqu’à la fin des temps pour nous enseigner la sagesse et expliquer les écritures comme Il l’avait fait aux disciples d’Emmaüs sur la route ?
Et aussi, ç’aurait été vraiment bien de le toucher, de passer notre temps avec Lui, de sortir en mer avec Lui pêcher des poissons… et des hommes, de toucher ses saintes plaies, de se blottir contre son cœur à l’instar du jeune apôtre Jean…

Du coup, nous sommes contraints, faute de pouvoir faire mieux, de le louer et aimer en esprit et en vérité.
Le confort et la sécurité que donne la présence physique de quelqu’un qu’on aime nous ont été retirés le jour même de l’Ascension.
C’est très inconfortable, parfois même décourageant et tout simplement difficile d’être fidèle quand l’autre n’est pas là, en chair et en os…
Et cela, depuis des décennies, voire des siècles…

Indéniablement, nous pensons ainsi puisque les questions ci-dessus nous taraudent ; nous n’avons pas complètement tort : croire et témoigner dans ce monde de brutes deviendraient aussitôt facile si le Christ y était en personne.
N’est-il pas plus simple pour l’enfant de se cacher derrière ses parents alors qu’il est en danger et que les difficultés se présentent ?

N’est-il pas plus facile d’aller vers notre frère aîné quand quelqu’un de notre classe nous menace d’une gifle ?
Ne serait-il pas plus efficace, pour la diffusion de la vérité, que le Seigneur lui-même affronte les adversaires de son Royaume ?
Et nous, derrière, comme des supporters en meutes, bien évidemment, nous le soutiendrions dans ce combat contre les forces obscures et l’idiote méchanceté des gens.

Mes frères et sœurs bien aimés, eh oui, sans doute serait-il bien mieux que le Christ soit resté parmi nous. Mais ce serait en même temps tout faux.
Nous ne grandirions jamais et resterions emmêlés dans l’immaturité de la foi, comme un gamin cramponné au jupon de sa mère.

Le Christ ne supporterait pas que nous restions éternellement des supporters qui s’égosillent en criant : « Aaaallez ! allez ! allez ! allez !!!… »,
mais qui ne descendent évidemment jamais dans l’arène.
Le Christ notre maître, notre Rabouni, comme l’appelait Marie-Madeleine, voulait que nous devenions autonomes et adultes.
La foi, ce n’est pas seulement l’affaire des enfants en bas âge qui se préparent à la 1ère communion. Malheureusement, beaucoup de gens le pensent ainsi.
Ainsi, une fois la communion faite, ils quittent l’Eglise…, jusqu’à la prochaine étape socio-culturelle : le mariage, parce que c’est beau et les photos sur les marches de l’église, ça c’est chic, ça a « de la gueule » !

Non, non, non la foi n’est pas une affaire de gamins.
Le catéchisme n’est qu’un début et ceux qui travaillent leur foi le savent très bien. Le plus dur, c’est après, quand il faut mettre en pratique chaque jour ce que l’on a appris aux cours donnés par une bonne sœur ou, le plus souvent par un laïque volontaire.

D’ailleurs, c’est pareil à l’école.
Une fois majeur, affrontant les aléas de la vie des adultes, ayant une famille à nourrir, un job à chercher, une maison à payer pour loger les siens, un conjoint et des enfants à assumer et cetera, et cetera, combien de fois ne se dit-on pas : quand j’étais un jeune blanc bec, encore à l’école, comme tout ce monde était simple !
J’étais logé, nourri, blanchi, quelques sous offerts par mon grand-père en poche : j’étais peinard… et heureux sans même le savoir, à l’époque.

Je ne m’occupais que de moi et de mes petites affaires, de mes amours et de mes désamours. J’avais le temps, j’étais jeune et beau…, mais au fond, mes frères et sœurs bien aimés, chacun de nous rêvait, malgré tous les avantages que je viens d’énumérer, devenir un jour grand, libre de prendre des décisions, d’être comme papa, maman, comme notre frère aîné, comme le prof qu’on adorait, comme le prêtre qu’on côtoyait.
Eh oui, nous le voulions de tout notre cœur car, au fond, nous savons que rester enfant, c’est contraire à la vie normale. Rester enfant toute sa vie, c’est un signe de maladie… d’une atrophie de la personnalité.
Peut-être avez-vous rencontré des gens atteints de l’achondroplasie, maladie constitutionnelle de l’os entraînant le nanisme.
Quand on est petit, à 6, 7 ans, c’est encore mignon mais quand on a 40 ans, c’est tragique.

Sans doute avez-vous entendu parler du syndrome de Peter Pan popularisé par Dan Kiley, psychanalyste américain, dans son livre du même titre écrit en 1983.
Il y décrit l’angoisse liée à l’idée de devenir adulte et le caractère de la personne majeure émotionnellement immature qui refuse de grandir : puer aeternus – l’éternel enfant.

Et c’est bien ce que notre Seigneur ne souhaitait pas. Il ne voulait pas que nous restions des gamins, des nains, des Peter Pan dans un corps d’adulte.
Il nous a appelés amis, il voulait que nous accomplissions une mission, et pas des moindres : Allez ! De toutes les nations, faites des disciples…

Par conséquent, son départ, son ascension étaient nécessaires.
C’était un déchirement, certes, mais indispensable pour que nous puissions voler de nos propres ailes, prendre les responsabilités qui nous avaient été confiées…
Nous étions déjà des disciples et il fallait que nous devenions des témoins.
Il fallait que l’on change de niveau.

Et l’Ascension a totalement changé la vie des apôtres par la suite…
Plus précisément, après la Pentecôte qui était la suite logique au départ du Christ. Ainsi, les apôtres n’étaient plus les mêmes.
Avant, ils paraissaient assez sympathiques, avec, bien souvent, des questions naïves, leurs chamailleries, leurs vantardises exaspéraient.

Et leur conduite le jour de l’arrestation du Maître, de son jugement, de sa mort, de sa mise au tombeau… où étaient-ils passés ?
Enfermés au Cénacle, par crainte des Juifs mais en réalité par crainte d’être pris à parti et, par conséquent, de finir comme leur Maître.
Et encore, après la résurrection, leurs doutes, leur lenteur à réaliser la mission d’évangéliser le monde. Ils voulaient tout bonnement que tout reste comme avant…, avant la résurrection.

Il fallait donc se séparer d’eux.
Le Christ le savait. Il savait qu’ils étaient comme des petits piafs dotés d’ailes pour voler… mais qui préfèrent rester au chaud, confinés dans leur nid, pénards… puisque le Maître est encore là. Et de toute façon, qui fait toujours mieux qu’eux.
Puis le Christ est parti, et tout a changé.
Ils comprirent enfin qu’ils devaient s’envoler à leur tour aux quatre coins de l’empire romain pour dire ce qu’ils avaient vécu d’exceptionnel avec le Christ.
Une fois confirmés par l’Esprit Saint, ils prennent le départ…
Une nouvelle page d’histoire, les actes des apôtres commencent à s’écrire et cela continue de nos jours.
Une fois autonomes, les apôtres ne ressemblent plus aux pêcheurs du lac de Tibériade, aux froussards du jardin de Gethsémani, aux égarés du dimanche de la résurrection.
Les apôtres ne sont plus les mêmes. Ils sont devenus responsables, courageux, missionnaires, bref, adultes dans la foi.
Il suffit de lire les lettres que certains d’entre eux ont écrites : cela n’a rien à voir avec le passé : quelle conviction, quel enseignement, quelle profondeur !
Il fallait créer des universités et des chaires pour les étudier…

L’Ascension fut un déchirement : on n’aime pas se séparer quand on s’aime. Mais cela était impératif pour que les apôtres prennent leur vie en mains.
Puisqu’ils étaient jusque-là plutôt des suiveurs.
Ensuite, ils ont pris leur destin au sérieux et l’ont forgé dans le feu de l’Esprit Saint, en sachant bien que le Christ les accompagnerait tous les jours… jusqu’à la fin du monde.
Amen.