Le pouvoir en soi n’a pas de valeur L’Epiphanie du Seigneur, le 3 janvier 2021

Publié le Publié dans Homélies

Lectures :

Is 60,1-6 : Debout, Jérusalem, resplendis !

Eph 3,2-3a.5-6 : ce mystère, c’est que toutes les nations sont associées au même héritage…

Mt 2,1-12 : Où est le roi des Juifs, qui vient de naître ?

L’adoration des rois mages a inspiré au fil des siècles de nombreux artistes voulant représenter cette scène contrastée.

D’un côté, l’abri modeste du nouveau-né et de sa famille indigène, forcée de se réfugier dans une grotte-étable où les troupeaux de bêtes s’abritaient en cas d’intempéries.

De l’autre côté, un cortège splendide de mages, sages,  voire rois, représentant symboliquement le monde entier et offrant des cadeaux dignes de gens fortunés, socialement haut placés.

Et ainsi, toutes les époques se sont emparées de ce sujet mythique…

Pour l’illustrer, une fresque des catacombes de Priscille à Rome – datant de la deuxième moitié du IIIème siècle – sur laquelle les mages arrivent en file indienne, l’un derrière l’autre, vêtus d’une tunique courte et du bonnet phrygien prouvant leur origine orientale…

Ou bien la mosaïque à fond d’or de Ravenne, du VI siècle, ou le tableau de Giotto aux couleurs douces, ou encore de celui de Lorenzo où les rois mages honorent le Christ tels des vassaux le feraient à leur suzerain, un genou à terre et la tête inclinée.

Ou l’huile sur bois d’un certain Pieter Paul Rubens montrant la magnificence des étoffes, la complexité de leurs draperies, le dynamisme des mouvements signant le langage baroque de l’auteur car, ici, Marie n’est pas l’humble femme d’un charpentier mais une reine somptueusement vêtue, son petit prince tenu dans ses bras.

Ou enfin ce retable contemporain d’Arcabas où les rois mages, assistés d’un jeune page nimbé d’or et St Joseph, accompagné d’un âne, debout à la porte, affichant une mine désemparée, comme s’il ne comprenait pas ce qui arrive à Marie et au petit Jésus confortablement installé sur ses genoux, tendant ses mains vers les  cadeaux fabuleux.

Toutes ces expressions artistiques nous font rêver en ce moment unique où le Christ se manifeste pour la première fois à un large public.

D’où son épiphanie, la révélation de ce qu’Il est vraiment : roi de l’univers, bien plus que roi des Juifs.

Et justement, je voudrais m’arrêter sur la royauté qui déborde de la scène de l’Evangile que j’ai proclamé tout à l’heure.

Avez-vous remarqué que dans le récit en question 5 rois y sont présents ?

Tout d’abord, Hérode le grand, maître de la Judée.

Puis les 3 mages qui, au fil du temps, étaient aussi associés au pouvoir royal.

Enfin le Christ, recherché par eux comme étant le roi des Juifs ; donc, inconsciemment, les rois mages ont fait comprendre à Hérode le Grand que son successeur venait de naître et que, logiquement, il allait lui ravir son trône.

Si vous connaissez un peu l’histoire, vous savez qu’Hérode était très jaloux et le pouvoir était tout pour lui. Il n’hésitait jamais à se débarrasser des personnes pouvant être potentiellement dangereuses pour son pouvoir. Sans scrupule, il exécutait les notables, noyait dans une piscine près de Jéricho Aristobule tel grand prêtre qu’il jugeait trop populaire. Il exécuta aussi son beau-frère Joseph et emprisonna sa belle-mère. Il finit également par tuer ses trois propres fils qu’il suspectait de comploter pour l’évincer du pouvoir. Ainsi, Hérode avait acquis la réputation d’un tyran sanguinaire et paranoïaque.


            A l’opposé d’Hérode se dévoile le Christ, roi de paix et de justice. Manifesté en un petit enfant, il ne représentait aucun danger. Bien au contraire : un roi qui ne voulait pas conquérir mais désirait être accueilli et blotti contre le cœur de ses sujets.

En la personne du Christ, le pouvoir n’est plus une domination : c’est un service.

Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi mais pour servir et pour donner sa vie en rançon pour la multitude (Mt 20,28).

Nous voyons alors que le pouvoir n’est pas entendu de la même façon par Hérode et par l’Evangile. Je dirais même plus : le pouvoir en soi n’a pas de valeur, positive ou pas. Il est lié aux valeurs que la personne qui le possède lui confère.
L’exercice du pouvoir dépend donc de la morale de la personne, de son honnêteté, de ses qualités humaines et de son rapport à la vérité.

Si la personne qui gouverne est tordue, sournoise, étrangère à la recherche de ce qui est vrai ou faux, son pouvoir se corrompt, devient oppressant, avilissant pour ceux qui sont obligés de le supporter.

En revanche, tant les qualités personnelles de la personne qui gouverne sont nombreuses et élevées, tant son pouvoir vise le bien et contribue à la prospérité du pays gouverné.

      Je me suis permis de faire les objections ci-dessus car, dans les temps qui sont les nôtres, il y a des tendances à accorder au pouvoir une sorte d’immunité absolue comme si, en soi, le pouvoir revêtait des qualités morales. A tel point qu’on veut étouffer toute critique à l’égard de ses représentants. Au lieu de dialoguer et d’échanger des arguments, on abuse de l’ostracisme et de l’intimidation.

Trop souvent les dirigeants-autocrates veulent nous convaincre que la seule vérité est la leur et, pour le prouver, ils édictent sans arrêt de nouvelles lois pour imposer leur point de vue.

      Je pense qu’il est utile d’analyser la conduite des trois rois mages. Comme des gens bien élevés, sans a priori, ils se rendent chez Hérode. Il est normal qu’ils attendent de l’aide du pouvoir en place.

Mais Hérode joue au plus fin ! Il veut exploiter leur savoir pour détecter qui est celui qui, selon sa propre paranoïa, le menace. Malade de pouvoir, Hérode n’imagine même pas qu’il y ait une autre manière de gouverner que celle passant par la peur et la terreur.

Les rois mages reprennent donc leur chemin pour Bethléem.

Une fois devant le petit enfant, ils comprennent que le véritable pouvoir n’est pas celui d’Hérode, fondé sur l’épée et la cravache mais celui du Christ, sauveur du monde, pétri d’amour et de pardon.

Ils comprennent que la vraie lumière ne vient pas forcément du haut d’un palais mais qu’elle jaillit du cœur.

Bouleversés par leur découverte et avertis en songe, les rois mages ne retournent pas chez le roi Hérode mais ils lui tournent le dos.

Ils ne reconnaissent plus la légitimité de son pouvoir et pourtant, ils se trouvent toujours sur le territoire dont le tyran est officiellement gouverneur.

Ainsi, les rois mages donnent l’exemple de la désobéissance civile vis-à-vis du pouvoir qui n’est plus un gouvernement appuyé sur la justice et la vérité
mais sur le despotisme déguisé en pouvoir légitime.

           La suite de la visite des mages, nous la connaissons. Furieux, Hérode s’attaque aux innocents. La sainte famille doit fuir en Egypte, à l’étranger, afin de préserver sa vie.

On dirait qu’Hérode a gagné la manche. Il est resté en place… mais le temps passe…

Lui est mort, son régime avec lui : ainsi finissent tous les tyrans… et le Christ est de retour en Judée et en Galilée.

Et depuis Il continue sa mission jusqu’à nos jours.


Alors, n’ayons jamais peur du pouvoir en place. S’il est bon et vise le vrai, soutenons-le de toute notre intelligence et de toute notre force. Apportons-lui le concours de nos qualités afin que la recherche du bien commun perdure…

Sinon, opposons-nous à lui avec vigueur, car le vrai pouvoir est donné pour servir et non pour être servi.

                                                                                         Amen.

Père Przemek KREZEL, curé +