Homélie – Le pardon est un acte, surtout, pour autrui. 24 dimanche du temps ordinaire, année A.

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Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Le pardon est un acte, surtout, pour autrui.
24 dimanche du temps ordinaire, année A
le 17 septembre 2017

Lectures :
Si 27, 30 ; 28, 1-7 : Pardonne à ton prochain le tort qu’il t’a fait ; alors, à ta prière, tes péchés seront remis.
Rm 14, 7-9 : Frères, aucun d’entre nous ne vit pour soi-même, et aucun ne meurt pour soi-même…
Mt 18, 21-35 : Pierre s’approcha…« Seigneur, quand mon frère commettra des fautes contre moi, combien de fois
dois-je lui pardonner ?

Tout est dit…. Tout est avéré.
Après avoir lu ce texte de l’Évangile, le message est clair : celui qui a été pardonné ne savait pas, ne voulait pas pardonner à son compagnon.
La grâce reçue ne s’est pas traduite en grâce partagée.
Le don acquis – en l’occurrence la remise d’une dette – ne s’est pas prolongée en don multiplié.
Finalement, le serviteur surendetté était un égoïste et un orgueilleux !

Égoïste car pour s’endetter à hauteur de dix mille talents, il fallait ne penser qu’à soi.
Dix mille talents – c’est-à-dire soixante millions de pièces d’argent – ce que signifierait pour nous une somme inimaginable !
Sans trop entrer dans les détails, un ouvrier, à l’époque romaine, gagnait en moyenne, 250 deniers par an.
Pour avoir un talent, il lui fallait donc 18 ans de travail. Quant à l’Évangile du jour, il nous parle de 10 mille talents.

Voyons donc bien :
au serviteur endetté, il faudrait 180 mille ans pour rembourser sa dette !
Alors, pour accumuler un débit pareil, nous comprenons vite que le monsieur en question n’était pas très économe ni très travailleur. Son ventre et sa concupiscence battaient leur plein.
A présent, nous pouvons comprendre mieux sa réaction violente, disproportionnée envers son compagnon, qui lui devait à peine – soulignons-le : à peine ! – 100 pièces d’argent, l’équivalant de 6 mois de travail, alors une broutille par rapport à la somme précédente.
La violence avec laquelle il se jeta sur son prochain démontre bien ses relations avec autrui.

Le serviteur ingrat – appelons-le ainsi – était certainement aussi quelqu’un de « m’as-tu-vu ».
D’ailleurs, l’égoïsme et l’orgueil font souvent bon ménage.
Il était orgueilleux car aveuglé par l’amour propre, il avait totalement mal compris le pardon reçu de la part de son patron : un pardon généreux, gratuit, sans aucune arrière-pensée…
Beaucoup d’argent d’un seul coup lui été défalqué, grâce à une parole bienveillante.
Le serviteur endetté jusqu’au cou, même bien au-delà, a été libéré de son fardeau absolument impossible à porter…. 180 mille ans de travail !
Cette générosité du Maître, sa sagesse – car il était conscient de l’impossibilité de s’acquitter d’une telle somme – le serviteur ne les comprend pas.
Au lieu de sauter de joie et d’être reconnaissant, il se sent humilié par ce pardon immérité.
D’où sa réaction violente lorsqu’il croise à son tour son débiteur : lui-même, pardonné, voulait prendre sa revanche sur un autre afin de regonfler son orgueil abaissé, à tort, selon lui…
La superbe – l’amour propre démesuré – défigure la réalité. C’est son cas : le serviteur ingrat a mal pris la remise de sa dette. Il a pris comme une gifle ce qui était, en vérité, un baiser de miséricorde.

Ainsi, après avoir examiné la conduite du serviteur ingrat, nous pouvons constater que son égoïsme et son orgueil ne lui permettaient pas de comprendre le geste du Maître comme un acte de charité…, comme une nouvelle chance donnée généreusement.
La fin de son histoire est tragique…, à juste titre : ses amis, peinés, ont appliqué semble-t-il, à la lettre le conseil évangélique que, nous-mêmes, nous avons entendu dimanche dernier :
si ton frère a commis un péché, va lui parler… S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes afin que toute l’affaire soit réglée sur la parole de deux ou trois témoins… (cf. Mt 18)

Alors le maître rend justice définitivement….
L’égoïsme – le nombrilisme pourrait-on dire, l’orgueil nous conduisent, plus au moins vite, vers le néant…, vers les ténèbres où aucun autre visage, à part le nôtre, n’apparaît.
Ni Dieu, ni prochain… solitude éternelle : c’est l’enfer.

Mes chers frères et sœurs bienaimés,
L’absurdité du montant de la somme remise au serviteur ingrat montre clairement qu’il ne s’agit nullement de relations économiques.
Le Christ ne voulait qu’expliquer ce que signifie le pardon…, ce que signifie de pardonner soixante-dix fois 7 fois.
En sachant que le chiffre 7 signifie pour les juifs perfection et totalité, le soixante-dix fois 7 fois annonce quelque chose d’inouï, perfection de la perfection, sans limite, donc incalculable.
Ainsi, le pardon n’est pas du ressort du quantitatif, mais du qualitatif !

Le pardon ne sert pas à remonter le moral de celui qui pardonne ou à augmenter sa propre valeur. Le pardon est un acte, surtout, pour autrui. Autrui qui, souvent, soyons honnête, ne mérite rien du tout. Qui, parfois même, odieux, dédaigneux comme ce serviteur ingrat, ne suscite absolument pas notre sympathie…
Précisément: le pardon n’est pas réservé qu’à ceux qui sont sympas et demandent tout de suite à ce qu’on les excuse.
Le pardon qui sort du cœur blessé, saignant encore à cause des coups encaissés, a valeur majeure. Il est conforme au pardon de notre Seigneur, Jésus Christ, qui ayant le cœur ouvert par une lance, disait : pardonne leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font.

Voilà le sacrifie véritable : pardonner à son ennemi…, à celui qui s’en moque !
Pardonner c’est passer au-dessus de la méchanceté et de l’étroitesse d’esprit du débiteur.
Pardonner ainsi engendre, d’ores et déjà, le Royaume des cieux…
Pardonner ainsi, c’est l’application directe de l’Évangile : aimez vos ennemis comme moi je vous aime….

On pardonne tant que l’on aime –
disait un écrivain.1
Ce qui est juste car, en fin de compte, la largesse de notre pardon vérifie bien l’état de notre amour.

Amen.

1- François de La Rochefoucauld, Extrait des Maximes