Chrétiens (dé)masqués 6ème dimanche de Pâques, année A, le 17 mai 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Chrétiens (dé)masqués
6ème dimanche de Pâques, année A, le 17 mai 2020

Lectures :
Act 8,5-8.14-17 : Ils étaient seulement baptisés au nom du seigneur Jésus.
1 P 3,15-18 : Soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque…
J 14,15-21 : Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements.

Si vous le permettez, je vais utiliser un objet qui, depuis deux mois, a gagné en notoriété puisqu’il est devenu notre principal objet de convoitise.
Je pense au masque. J’en ai apporté un… en vue de la démonstration.

Comme vous le voyez, une fois placé sur le visage, il modifie ma physionomie :
je suis le même… mais plus le même.
Je perds une partie de ma personnalité. Mon visage devient plus difficile à reconnaître. Si j’ajoutais encore une protection autour des cheveux et des oreilles, je deviendrais parfaitement méconnaissable.
Ma bouche existe toujours mais elle est dissimulée derrière un tissu aseptique.
Ma parole sort quand même, – le masque ne l’empêche pas d’être émise -, cependant, elle est devenue moins audible, moins claire.
D’ailleurs, le fait que je porte un masque fait en sorte que les gens prêtent moins attention à ce que j’ai à dire. Ainsi, sans le vouloir, nous nous retrouvons muselés.
Et afin que nous ne nous révoltions pas, on nous assène : c’est pour votre protection, par respect pour les autres, pour une vie sans risque. Bref, pour notre santé et au nom du vivre ensemble.

Mes chers frères et sœurs bien aimés, je n’ai voulu me servir de cet objet que pour vous amener au sujet dont nous parlent les Actes des Apôtres… et qui pourrait passer inaperçu.
En effet, il ne suffit pas d’être baptisé pour être un chrétien accompli.

Regardez, Pierre et Jean partent en visite canonique en Samarie pour vérifier par eux-mêmes les merveilles de l’évangélisation qui s’y est accomplie.
Le terrain est assez hostile car je vous rappelle que les Samaritains étaient mal venus chez les Juifs orthodoxes de l’époque qui voyaient en eux les membres d’une secte.

D’ailleurs, les Samaritains, méprisés durant des siècles, n’appréciaient pas non plus tout ce qui se rattachait au culte de Jérusalem car jugé comme élitiste et excluant.
Malgré les relations compliquées et les désaccords évidents entre Juifs et Samaritains, le travail du diacre Philippe fut à tel point remarquable qu’il mit de côté les animosités réciproques en prêchant le Christ pour qui, vous le savez, il n’y a plus ni Juif, ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n y a plus ni homme ni femme car tous sont un en Jésus Christ (Ga 3,28).

Cette vérité a séduit les Samaritains.
Les conversions étaient massives, les miracles innombrables.
Pierre et Jean viennent donc parmi eux pour voir si les nouvelles n’étaient pas trop excessives…
Visiblement non, car dès leur arrivée l’enthousiasme fut tel que les nouveaux adeptes de la foi catholique assaillent les apôtres pour demander l’Esprit Saint.
Ici, l’auteur des Actes des Apôtres note le problème perçu chez les tout jeunes convertis: ils étaient seulement baptisés au nom du Seigneur Jésus.

Vous voyez bien qu’il ne suffit pas d’être simplement baptisé pour être réellement des disciples confirmés et engagés. Certes, nous sommes baptisés dans l’eau et dans l’Esprit Saint comme nous l’enseigne le rituel du baptême, mais le jour de notre baptême, l’Esprit Saint est encore à l’état embryonnaire, si je puis m’exprimer ainsi.
Il faut encore – et vraiment – que, par le sacrement de la confirmation, l’Esprit Saint descende sur nous…, qu’il nous enflamme du feu de vérité…, qu’il emplisse nos poumons de son souffle vivifiant…, que sa sagesse assouplisse notre langue et que le don de la force affermisse notre volonté.
Et tout cela accompagné par la piété et la crainte de Dieu.
Par conséquent, nous pouvons enfin cesser d’être seulement chrétiens de nom. Peu visibles, faiblement audibles, à peine courageux…, car muselés par la société laïcisée et la peur de se faire remarquer par les gardiens de la pensée unique.

Une fois ayant laissé l’Esprit Saint agir en nous, nous pouvons réaliser vraiment la mission qui nous est conférée par notre Seigneur, celle que Pierre a précisée dans la lettre que nous avons entendue en deuxième lecture:

« soyez prêts à tout moment à présenter une défense devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous ».

Ainsi, depuis, nous, disciples du Christ, sommes témoins de l’espérance liée à la personne du Christ et à son enseignement.

Pourtant, le sommes-nous vraiment, aujourd’hui, à l’époque qui est la nôtre ?

Certes, nous sommes baptisés, beaucoup d’entre nous ont reçu le sacrement de confirmation, mais j’ai le sentiment que nous sommes muselés intérieurement. Notre parole est barrée, comme par un masque, et cela date de bien avant le confinement et la pandémie du covid-19.
Pour ne pas faire de vagues, pour ne pas se démarquer, pour ne pas être trop critiqué et essuyer l’insulte d’être rétrograde, les Chrétiens, les Catholiques se font discrets.

Je le comprends, nous sommes trop bien éduqués, donc nous n’aimons pas aller au clash. La provocation n’est pas notre truc… et non plus pour Saint Pierre qui lui-même, parlant du témoignage à rendre, souligne :
faites-le avec douceur et respect en ayant une conscience droite.

Cela ne signifie pas pour autant que nous devions être inoffensifs ou timorés.
N’oublions pas ce que disait le Cardinal Newman :
… à toutes les époques, de vrais Chrétiens, membres de cette Eglise par eux vivante et forte, se trouvent dispersés et perdus dans la multitude. […]
Peu nombreux, mais avec la force de l’Esprit, méprisés par le monde, mais faisant avancer la vérité au milieu de leurs épreuves, les douze apôtres renversèrent l’empire des ténèbres et affirmèrent l’Eglise chrétienne » [1].

Mes chers frères et sœur bien aimés…
Aujourd’hui, je conclurai par le texte d’une prière…
Une prière qui nous rappelle que, grâce aux sacrements reçus, nous sommes parfaitement armés pour réussir notre vie au cœur de ce monde…
voire même de le changer selon le souhait de notre Maître Bien aimé :

Dieu seul peut donner la Foi,
mais tu peux donner ton témoignage.

Dieu seul peut donner l’espérance,
mais tu peux rendre confiance à tes frères.

Dieu seul peut donner l’amour,
mais tu peux apprendre à l’autre à aimer.

Dieu seul peut donner la paix,
mais tu peux semer l’union.

Dieu seul peut donner la force,
mais tu peux soutenir un découragé.

Dieu seul est le chemin,
mais tu peux l’indiquer aux autres.

Dieu seul est la lumière,
mais tu peux la faire briller aux yeux de tous.

Dieu seul est la vie,
mais tu peux rendre aux autres le désir de vivre.

Dieu seul peut faire ce qui paraît impossible,
mais tu pourras faire le possible.

Dieu seul se suffit à lui-même,
mais Il préfère compter sur toi ! [2]

 

[1] John Henry Cardinal Newman, Le Mystère de l’Eglise, de M.K.Strolz et les collaborateurs du Centre des Amis de Newman, Téqui, 1983, pp.121-122
[2] Prière d’une équipe de Campinas (Brésil)