Aïkido chrétien 7ème dimanche du temps ordinaire, année A, Le 23 février 2020

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Aïkido chrétien
7ème dimanche du temps ordinaire, année A,
Le 23 février 2020

Lectures :
Lev 19,1-2.17-18 : Soyez saints, car moi le Seigneur votre Dieu, je suis saint.
1Cor 3,16-23 : Vous êtes le temps de Dieu
Mt 5,38-48 : Vous donc, soyez parfait comme votre Père céleste est parfait

Chers bien aimés frères et sœurs dans la foi,
Nous voici dans l’embarras après la proclamation de l’Evangile : alors, Nietzsche et sa critique de la morale du faible pourraient-ils, du coup, triompher ?
Parce que la première et hâtive lecture de ce texte lui donne semble-t-il entièrement raison puisque, pour lui, les Chrétiens sont ceux qui disent justement:
Nous, les faibles, nous sommes décidément faibles, nous ferions donc bien de ne rien faire de tout ce pour quoi nous ne sommes pas assez forts.
Ainsi, selon Nietzsche, la pitié, l’altruisme, toutes les valeurs humanitaires sont en fait des valeurs par lesquelles on se nie soi-même pour se donner l’apparence de la bonté morale et se persuader de sa supériorité mais sous ces valeurs illusoires fermente une haine impuissante qui se cherche un moyen de vengeance et de domination. [1]

Cependant, on voit bien que ce cher Nietzsche finit inéluctablement par sombrer dans la dépression puisqu’il passa ses dernières années dans un asile d’aliénés :
il n’avait pas compris le sens exact du texte en question.
Et cela pourrait aussi nous arriver si nous ne prenions pas en compte deux données importantes.
La première est que ce fragment de l’Evangile selon St Matthieu que je viens de proclamer est tiré d’une plus importante partie intitulée Le sermon sur la montagne et qui commence par les célébrissimes béatitudes par lesquelles le Christ pose les jalons principaux de son enseignement en vue du Royaume des cieux.

Il suffit donc de les lire pour comprendre que le chemin qu’il propose n’est pas celui des faibles, des indécis, des peureux.
L’Evangile d’aujourd’hui, la suite des béatitudes, les explique par des situations concrètes. Ainsi, Le Christ démontre comment il faut les appliquer et les vivre au quotidien.
Ici, nous le voyons bien, le Christ se présente comme un véritable pédagogue : il lance des idées, tout en proposant des solutions précises pour les mettre en pratique.

Les béatitudes sont un très beau texte mais, réellement, que signifie :
heureux les pauvres de cœur, heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, heureux les miséricordieux…
Si notre Seigneur terminait son discours sur la montagne seulement par cette belle déclaration, les disciples auraient devant eux un texte que l’on pourrait interpréter à sa guise.
Cependant, ce n’est pas le cas : le Christ décortique les béatitudes l’une après l’autre et le texte de ce dimanche développe précisément la question de la miséricorde.
Par conséquent, ne pas riposter au méchant, laisser sa tunique et son manteau à celui qui les réclame, faire deux mille pas au lieu de mille, prêter à ceux qui ont besoin ne sont pas des signes de faiblesse comme voudrait le laisser entendre ce pauvre Nietzsche mais des actes de miséricordieux.
Ainsi, ces gestes sont-ils des gestes héroïques qui coûtent énormément à ceux qui les mettent en œuvre.

Ici, je dois faire une 2ème remarque fondamentale :
A qui s’adresse le sermon sur la montagne, donc les béatitudes, le texte de l’Evangile du jour ?
A tous ?

Bien sûr que oui, à tous ! – me répondriez-vous, car Jésus, suivi par les foules et le miracle de la multiplication des pains survenu juste après témoignent qu’ils étaient 5000 milles d’hommes sans compter les femmes et les enfants.

Cependant, la lecture attentive du texte démontre, comme le souligne le bibliste reconnu, malheureusement décédé, le Cardinal Carlo Maria Martini, qu’il est un enseignement destiné aux disciples plutôt qu’à la foule.
C’est une éthique requise pour ceux qui choisissent radicalement Jésus – donc les apôtres- disciples du Christ, et, par extension, les prêtres, les diacres, les personnes consacrées.

Mais les foules sont aussi concernées.
L’évangéliste Matthieu a bien noté que les paroles du Christ s’adressaient également à elles, puisqu’elles étaient frappées par leur pertinence.
Jésus parle d’ailleurs de situations qui concernaient tout le monde, la vie ordinaire des gens : inimitiés, divorce, impureté de cœur… et comme nous le voyons dans le texte d’Evangile d’aujourd’hui, aussi la violence, la cupidité…

Mes frères et sœurs, j’espère que vous comprenez à présent que l’Evangile s’adresse à nous et qu’il est exigeant, voire même qu’il requiert de l’héroïsme.
Si nous pensons que le Christ nous en demande trop, nous nous trompons.
Il voit toujours dans ses disciples un potentiel immense.
A peine en ces quelques lignes du texte que j’ai proclamé, il les appelle à être la lumière du monde et le sel de la Terre.
Il n’attend pas de nous, également ses disciples bien- aimés, que nous soyons quelconques, insignifiants, insipides – à l’instar de l’un des présidents de la République qui se targuait d’être un président normal… pour finir tout simplement… banal !

Cependant, le chrétien banal ne devrait même pas exister.
Le chrétien ne peut pas se contenter d’être ordinaire.
Il est appelé à changer le monde…
A appliquer déjà sur terre les principes du royaume des cieux.
Par conséquent, les consignes que le Christ nous donne aujourd’hui et qui paraissent si difficiles, sont la seule échappatoire à la spirale de la violence. Si je frappe celui qui me frappe, en fin de compte, je la fais perdurer.

Néanmoins, « aimez vos ennemis » ne signifie pas se laisser violenter par eux… mais de ne pas répondre au mal par le mal.

Ainsi, une seule solution pour que le monde s’améliore et devienne plus humain et plus proche de l’idéal : c’est vaincre le mal par le bien.
Sinon, rien ne pourrait changer et les béatitudes stagneraient dans le monde des idées plutôt qu’être un mode opératoire.
Et ce serait un vrai gâchis.

Mes frères et sœurs bien aimés, le Christ ne nous appelle pas à nous laisser frapper, à nous laisser battre. Il nous appelle à changer la manière de nous défendre.
Si nous utilisons les armes de notre adversaire, finalement, c’est comme si nous leur donnions raison et qu’il n’y a pas d’autres solutions que celle de la loi du Talion, donc : œil pour œil et dent pour dent, coup pour coup….

Mes chers frères et sœurs,
Connaissez-vous le sport qui s’appelle Aïkido ?
Il est composé de techniques de défense à main nues utilisant la force de l’adversaire, ou plutôt son agressivité et sa volonté de nuire. Ces techniques visent non pas à vaincre l’adversaire, mais à réduire sa tentative d’agression à néant. L’Aïkido peut ainsi être considéré comme la concrétisation du concept de légitime défense : une réaction proportionnée et immédiate à une agression. En fait, dans l’esprit de l’Aïkido, il n’y a pas de combat, puisque celui-ci se termine au moment même où il commence. [2]

Et c’est ce que le Christ voulait nous dire aujourd’hui :
Changez de technique…
N’entrez pas dans le combat, restez hors de lui…
Défendez-vous et réduisez à néant le mal que le méchant veut vous imposer… mais pas avec les armes et les méthodes de ceux qui vous agressent… sinon le cercle vicieux continuerait… et vous resteriez semblable aux pharisiens et aux païens plutôt que devenir parfait comme votre Père céleste Lui-même l’est…

 

[1] Cfr., https://fr.wikipedia.org/wiki/Friedrich_Nietzsche
[2] Cfr., https://fr.wikipedia.org/wiki/Aïkido