A quoi sert une longue cuillère ? La solennité de la Sainte Trinité, année C le 16 juin 2019

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierret St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

A quoi sert-elle une longue cuillère ?
La solennité de la Sainte Trinité, année C
le 16 juin 2019

Lectures :
Pr 8,22-31 : Ecoutez ce que déclaré la Sagesse de Dieu : le Seigneur m’a faite pour lui…
Rm 5,1-5 : Frères, nous qui sommes devenus justes par la foi…
J 16,12-15 : J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais pour l’instar vous ne pouvez pas les porter.

Peut-être savez-vous que la formation et les études de base pour devenir prêtre soit au diocèse soit dans un ordre ou une institution religieuse peuvent durer 6 ans, voire 7, 8 ans, et même jusqu’à 10 ans !
Durant tout ce temps, la majeure partie est consacrée à l’étude de la Bible et de la théologie.
Ainsi, je me souviens d’un cours sur la Trinité Sainte, étendu sur un trimestre entier au rythme de 4 heures par semaine… Vous comprendrez donc bien que les 10 minutes dont je dispose pour formuler mon homélie ne suffisent pas pour approfondir le sujet en question…

Par contre, je peux vous faire partager un souvenir de ces cours passionnants…
Un jour, au séminaire, notre professeur a parlé avec fugacité des différents courants de pensées qui traitaient du mystère de la Trinité Sainte.
Il s’enflammait, citant telle œuvre ou expliquant un terme technique censé décrypter l’indescriptible…
A la fin, l’un de nous lui a posé la question :
Maître, tout ce que vous venez de dire est très intéressant et magnifique, mais pour moi, pour le futur prêtre que je serai, concrètement, en quoi ce que vous enseignez pourrait-il être utile et m’aider à prier ?
Le professeur, pas du tout surpris, lui répond :

Mon cher, ce que tu devras faire à l’avenir une fois ordonné prêtre
et ce que je viens de dire, ces deux choses-là sont bien distinctes.

Elles n’ont rien en commun.

A mon avis, nous pensons un peu pareil :
A quoi sert-il dans mon quotidien, le mystère de la Trinité Sainte ?

Bien sûr, chaque année, comme aujourd’hui nous sommes dans l’église pour célébrer une messe en son honneur…
Toutefois, dans le pratico-pratique, ce dogme central de la foi catholique, qu’a-t-il en commun avec ma vie de tous les jours ?
Quel est son rapport avec les conflits sociaux, l’émigration, les élections européenne, que nous avons récemment vécues, avec le Brexit, les dernières contestations à Hong Kong contre un projet de loi sur les extraditions qui faciliteraient le transfert de suspects en Chine afin qu’ils y soient jugés.
Alors, qu’y-a-t-il de commun entre ce que nous vivons et notre croyance en la Trinité sainte ?

Si quelqu’un pensait qu’il n’y en a rien en commun, il se tromperait grandement, car on ne peut pas comprendre vraiment le monde et le sens de la vie humaine sans prendre en compte la vérité sur Dieu en trois personnes.
Pourquoi ?
Parce que, mes chers frères et sœurs bienaimés, nous sommes nés de l’amour  de Dieu le Père pour son Fils, dans l’amour de l’Esprit Saint.
Nous sommes issus de l’amour. Le monde a été fondé par l’amour et sur l’amour.
De la maison de l’amour nous sommes sortis, par conséquent, toute notre vie – qu’on le veuille ou non – il nous manque !
Tout notre être, toute notre vie est tournée à aimer et à être aimer. Nous nous sentons en sécurité, seulement si nous sommes aimés donc pleinement acceptés.
Je laisse parler Anne Philipe, femme de lettres française qui fut l’épouse de l’acteur Gérard Philipe, mort prématurément, dont le public français garde une image juvénile et romantique…

L’amour : une source, une raison de source, le monde devient fertile, c’est l’émerveillement, le sentiment du miracle et, en même temps, du déjà connu, un retour au paradis perdu, la réconciliation du corps et de l’idée, le découverte de notre force et de notre fragilité, l’attachement à la vie et pourtant l’indifférence à la mort, une certitude à jamais révélée et cependant mobile, fluide et qu’il faut reconquérir chaque jour. [1]

L’homme est donc orienté vers l’amour, même si parfois il s’y prend maladroitement ou bien se trompe sur le choix des moyens pour y parvenir.
Cela n’empêche qu’il aspire de toute son âme à un grand amour !

Et justement, cette soif…, ce désir atavique le fait semblable à la Trinité Sainte.
Elle est la communion d’amour de trois personnes. Dieu n’est jamais égoïste, un solitaire, un être séparé des autres…
Le dogme de la Sainte Trinité nous rappelle que Dieu est Amour et l’amour, pour exister, a nécessairement besoin de l’autre.
On ne peut pas vraiment s’aimer tout seul. C’est même malsain, narcissique…
Le véritable amour a besoin de se donner à l’autre…, de se perdre dans des bras autres que les siens…

Et c’est ce qui se vit au sein de la Sainte Trinité :
le Père se révèle au monde par son Fils qui, Lui, perpétue l’œuvre du salut par et dans l’Esprit Saint, qui, à son tour, offre le tout à la gloire du Père.
C’est un élan…
Rien pour soi. Tout pour l’autre !

Pensez-y, mes frères bienaimés, à chaque fois que l’égoïsme ou le démon du profit voudrait soumettre les autres à vos caprices égocentriques.

Pour que vous puissiez retenir le conseil que je vous donne, je finirai par une allégorie dont les variantes se retrouvent dans plusieurs cultures…
Peut-être la connaissez-vous déjà…

Il était une fois un prêtre dévoué qui souhaitait voir à la fois le ciel et l’enfer, et Dieu consentit à sa demande.
Le prêtre se retrouva devant une porte qui ne portait pas de nom. Il trembla quand il la vit s’ouvrir devant lui sur une grande pièce où tout était préparé pour un festin. Il y avait une table, et en son centre un grand plat rempli de nourriture savoureuse. Son odeur excitait l’appétit.

Des convives étaient assis autour de la table avec de grandes cuillères dans les mains, et pourtant ils hurlaient de faim dans ce terrible endroit.
Ils essayaient de se nourrir tout seuls, maudissant Dieu, car les cuillères que Dieu leur avait fournies étaient si longues qu’elles ne pouvaient atteindre leur visage et mettre la nourriture sur leur langue.

Ainsi ils mouraient de faim, alors qu’un mets abondant se trouvait au milieu d’eux. Le prêtre réalisa que leurs cris étaient les cris de l’enfer, et lorsqu’il comprit cela, la porte se referma devant lui. Il ferma les yeux pour prier et supplia Dieu de l’éloigner de ce terrible endroit.

Quand il les ouvrit à nouveau, il fut pris de désespoir, car il se trouvait devant la même porte, la porte qui ne portait pas de nom. Une fois de plus elle s’ouvrit et donna sur la même pièce.
Rien n’avait changé, et il était sur le point de crier d’horreur.
Il y avait la table, et au centre les mets savoureux, et tout autour il y avait les mêmes personnes, et dans leurs mains les mêmes cuillères. Et pourtant il n’y avait plus de hurlements, et les cris et les malédictions s’étaient transformées en louanges ; rien n’avait changé et pourtant tout avait changé.
Car, avec les mêmes longues cuillères ils atteignaient les bouches les uns des autres et se nourrissaient l’un l’autre, et ils rendaient grâce à Dieu.
Et lorsque le prêtre entendit les bénédictions, la porte se referma.
Il tomba à genoux, et lui aussi bénit Dieu qui lui avait montré la nature du ciel et de l’enfer, et l’abîme – de la largeur d’un cheveu – qui les sépare. [2]

Amen

[1] Anne PHILIPE, Le temps d’un soupir, le livre de poche, 1969, p.54

[2] Cfr., http://www.imagesetmots.fr/pages/litterature/parabole_ciel_enfer.html