Arrêtons d’évangéliser l’Afrique car elle se porte bien Homélie de l’Ascension, le 13 mai 2021

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Lectures :

Act 1,1-11 : Cher Théophile, dans mon premier livre…

Ep 4,1-13 : Frères, moi qui suis en prison à cause du Seigneur…

Mc 16,15-20 : Allez dans le monde entier. Proclamez l’Evangile à toute la création…

Mes frères et sœurs bienaimés, il y a une chose sur laquelle nous ne pouvons qu’être d’accord : notre Seigneur voyait grands ses disciples. Il les jugeait capable de transformer le monde.

Allez dans le monde entier – leur avait-il dit en guise de mot d’adieu.

N’ayez pas peur d’annoncer l’Evangile à toute la création. Grâce à la docilité
à l’Esprit Saint, grâce à votre audace et à votre foi en moi, vous verrez les gens parler en langues nouvelles, les démons en fuite, les malades guéris.

Alors, ne tardez pas, allez partout, ne perdez plus votre temps !

Et les apôtres l’ont bien compris, de même que leurs descendants, et les descendants des descendants…. jusqu’à nous.

C’est maintenant à notre tour, mes chers frères, de prendre la relève et de sillonner les chemins du monde en proclamant cette belle nouvelle sur nos lèvres et surtout dans notre cœur :

Dieu est amour et il se fait ami de l’humanité en la personne de Jésus, son fils bienaimé qui n’a pas reculé devant le don de soi sur le bois de la croix pour le salut du monde

Comme autrefois, Dieu nous voit grands et capables de reprendre le flambeau de la foi afin de le porter aux extrémités du monde.

Merci, Seigneur, pour ta confiance en nous…

       Cependant, qu’est-ce que le monde entier ? Où se trouve-t-il ? Où doit-on
le chercher ?

Si j’habite à Chazay, à St Jean des Vignes, à Marcilly ou dans un autre village de notre paroisse, dois-je vendre ma maison, acheter un camping-car et partir sillonner les routes comme les Manouches, en Afrique ou en Asie, pour prêcher le Christ ?

Non, je ne vous en demande pas tant, et le Christ non plus, même s’il y a toujours des gens appelés pour des missions particulières sortant de leur cadre habituel. D’ailleurs, j’en suis un exemple : si quelqu’un m’avait dit il y a une vingtaine d’années : tu seras prêtre en France, je lui aurais fait gentiment signe de se frapper le crâne : moi, en France ?

Et vous voyez, je suis là, car la providence a décidé de me confier une mission hors de mon pays chéri, au-delà de mes repères habituels et de ma culture d’origine.

Cependant, mon cas, le cas de nos Sœurs dominicaines ou d’autres missionnaires travaillant à l’étranger sont finalement assez minoritaires : pour la plupart des Chrétiens, même si le défi est le même pour tous, c’est-à-dire proclamer l’Evangile à tous dans le monde entier, le champ d’action est inégal.

             Chacun de nous devrait se poser la question : c’est quoi, le monde entier, pour moi ? C’est quoi, mon monde à moi ?

Parce que le monde entier, à titre d’exemple, pour un cadre d’entreprise, marié, père de famille, c’est son foyer d’abord, son lieu de travail, ses loisirs et, bien sûr, sa paroisse : c’est tout !

Pour les grands parents déjà à la retraite, le monde entier, ce sont leurs enfants et petits-enfants, les voisins, les collègues de club de seniors avec lesquels ils jouent au bridge ou au scrabble.

Pour un collégien et un lycéen, le monde entier, ce sont leur école, leurs abonnés sur Instagram ou tik-tok, leurs camarades de l’aumônerie paroissiale.

J’espère que vous saisissez bien l’idée : le monde entier ne limite pas forcément à son terme géographique. Il s’agit plutôt du milieu dans lequel chacun de nous évolue. Arrêtons de penser l’Evangile au sens géographique car c’est fini !

Avant d’écrire cette homélie, j’ai consulté le dernier Annuario Pontificio

– l’annuaire pontifical- document sous forme de livre publié chaque année
par le Saint Siège afin de donner de manière détaillée toutes les informations concernant l’Eglise.

Et savez-vous ce que j’y ai lu ?

Ces dix dernières années, le nombre de Catholiques a augmenté de 150 millions, ce qui donne un taux de croissance de 13%. Pas mal, n’est-ce pas !

Le nombre de prêtres au niveau mondial a également augmenté.

Cependant, j’ai lu que sur tous les continents s’opèrent plus ou moins ce progrès, sauf sur un !

Lequel, à votre avis ?

C’est l’Europe, qui est à la traîne !

C’est sur ce continent que les églises ferment, les communautés s’effritent,
le nombre général de croyants diminue.

Alors, arrêtons d’évangéliser l’Afrique car, je vous l’assure, elle se porte bien !

Ou encore l’Asie : laissons-la, elle monte aussi en puissance.

Et les Amériques maintiennent leur rang également.

Dans une projection pour l’année 2050, on envisage que le nombre de Catholiques vivant sur le sol européen passerait d’un quart à 16%.

Donc, mes chers amis, occupons-nous de notre monde à nous car c’est notre mission d’aujourd’hui.

Les missionnaires européens ont fait un travail remarquable dans les sociétés précédentes mais il faut dire à présent que l’Europe occidentale dont la France sont devenues des terres de mission. La brousse d’ignorance n’est plus en Afrique : elle est devant notre porte.

Souvenez-vous d’un proverbe latin: occupe-toi de tes affaires avant de t’occuper de celles des autres.

Ce qui se traduit en langage pastoral : charité bien ordonnée commence par soi-même.

Un exemple à l’appui ?

Un jour, j’ai rencontré les membres d’une famille en vue de la préparation des funérailles de leur père. J’ai entendu beaucoup de choses positives et flatteuses à l’égard du défunt. Les enfants et son épouse m’ont parlé longuement de sa générosité, de services qu’il avait rendus à tout le monde, à droite et à gauche, à n’importe qui lui demandait.

Mais, mais…., au milieu de ce flot de compliments, j’ai entendu une phrase discrète, pleine de regrets, voire d’amertume :

Notre Papa avait du temps pour tous, mais pas pour nous.

Il était toujours pressé de sortir.

Cela ne pourrait-il pas nous arriver ?

Combien de fois sommes-nous avenants avec les mécréants, généreux avec
les associations laïques, solidaires avec les migrants du Pas-de-Calais ou de Lampedusa, et tellement tolérants avec tous ceux qui ne sont pas catholiques.

Par contre, lorsqu’il s’agit des relations avec nos proches…, ce n’est pas toujours la gloire !

Ils sont pourtant bien notre premier monde, si je puis dire, celui dont nous devons prendre soin.

Notre devoir d’évangélisation commence par nous, par nos familles, nos communautés paroissiales, nos voisins, nos lieux de travail : tel est l’ordre à suivre.

Avez-vous déjà lancé un caillou dans un lac ?

Sans doute avez-vous vu, dans l’onde, s’élargir les cercles au fur et à mesure de l’éloignement du lieu de la chute du caillou.

C’est cela, le sens de l’Ascension : la mission part d’un lieu concret afin de devenir universel, sans pourtant brûler les étapes.

Et n’oubliez pas : ce qu’a écrit saint Marc en conclusion du récit de l’Ascension : le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole par les signes qui l’accompagnaient.

Nous n’avons ainsi plus rien à craindre…

                                                                            Amen.

Père Przemek KREZEL, curé +