Homélie – L’amour. Quelle dépossession ! 30ème dimanche du temps ordinaire, année A.

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse S. Pierre et S. Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

 

L’amour. Quelle dépossession !

30 dimanche du temps ordinaire, année A, le 29 octobre 2017

 

Lectures :

Ex 22,20-26 : Vous n’accablez pas la veuve et l’orphelin.
1 Thess 1,5c-10 : Et vous, vous avez commencé à nous imiter.
Mt 22,34-40 : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur…

 

Mes chers frères et sœurs bienaimés,
une fois encore, je vous dis ma joie de vous retrouver aujourd’hui présents à la messe.
C’est bien que vous soyez venus jusqu’ici, car notre Seigneur Jésus Christ vous l’enseigne une fois de plus, contrairement à ce que l’on pense et ce que l’on en dit, croire en Dieu est facile.
Il tient à deux – et seulement- à deux préceptes !
Vous l’avez entendu : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et tout ton esprit et Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Alors, je pourrais m’arrêter ici, puisque tout a été dit de façon concise et limpide.
Cependant, je vais continuer, car justement, ce qui est tellement évident et élémentaire pose des problèmes éminents à sa réalisation.
Certains iraient même jusqu’à dire : ces deux préceptes évoqués par Jésus sont utopiques, purement irréalisables, presque totalitaires !
Est-il possible de tout donner à Dieu ?
Est-il sensé de se précipiter pour Dieu dans les eaux profondes de l’amour ?
Pouvons-nous, effectivement, rendre égal au nôtre notre amour pour le prochain ?

Je comprends vos inquiétudes, il arrive qu’elles soient aussi les miennes… Les exigences d’une telle démarche si absolue suscitent des réticences légitimes… Mais parlons- en franchement :
Existe-t-il une autre alternative sérieuse que d’aimer Dieu et notre prochain comme le Christ le veut ?
Avons-nous vraiment un autre choix théologalement tenable ?

Non.
Tout simplement, non !

Bien sûr, humainement, nous pourrions créer des situations vertigineuses et moralement biaisées. Nous pourrions ainsi aimer à mi-temps, à quart de temps, en demi-teinte, un peu, pas beaucoup, non plus…
Oui, nous le pouvons, et c’est ce que nous faisons la plupart du temps.
Nous essayons d’aménager notre amour pour Dieu et pour le prochain, afin de ne pas nous laisser déborder, submerger, absorber complètement.
N’est-il pas vrai que nous disons avec une pointe d’humour – qui exprime inconsciemment nos craintes – : si on lui donne le doigt, il vous prend le bras ?
De notre point de vue humain, nos attitudes sont explicables. Nous agissons ainsi pour nous protéger. D’ailleurs nous sommes éduqués à la mise en garde, sur la défensive.
Le monde d’aujourd’hui ne brandit-il pas sur ses pancartes des mots d’ordres tels que : protection, prendre soin de soi, principe de précaution ?
Nous trouvons donc normal que ces axiomes soient appliqués… même et jusque dans les relations avec notre Créateur et notre prochain.

Pour vous rassurer, je vous le dis avec conviction : ces principes ne sont pas mauvais en soi. Ils sont porteurs de certaines valeurs qui aident à trouver l’équilibre entre vivre avec les autres et demeurer bien dans sa peau.
Néanmoins, ils ne peuvent pas être la base des relations entre humains.
Parce qu’ils leur manque un élément essentiel.
Ils leur manque la générosité !
Sans elle, toute relation est mesquine, étriquée, sans élan, sans avenir…
Si je commençais une relation avec quelqu’un en regardant d’abord mes propres besoins ?
Si je débutais systématiquement par écouter ce que je veux, ce qui me fait plaisir ?
Si je m’évitais à tout prix le risque d’être déçu, les liens profonds, les vrais, avec l’autre, ne se noueraient jamais !

Pour construire une relation durable, sincère, intense, désintéressée, il est indispensable au préalable et durant cette relation, d’être généreux.
C’est la condition essentielle pour dépasser l’égoïsme : d’abord le nôtre, et ensuite, celui de la personne en face.
Il faut donc vouloir aimer à corps perdu, de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit, afin que l’amour déploie un jour pleinement ses ailes, devenant ainsi la source et le moteur de notre existence.
Notre immortel Victor Hugo n’avait-il pas écrit :
L’amour fait songer, vivre et croire
Il a pour réchauffer le cœur,
Un rayon de plus que la gloire,
Et ce rayon c’est le bonheur !1

Mes frères bienaimés,
tout autre procédé, d’office, est incomplet, et il donne, finalement en résultat un amour sous-développé, attardé, inachevé, tronqué, bref : une caricature de l’amour.

Pour l’illustrer :
Imaginez-vous qu’une mère de famille se dise : j’aime mes gosses à 60%, car le reste je réserve pour mes copines du club fitness ?
Ou, pour équilibrer la parité, imaginez un mari qui dise à sa femme : ma chérie, je t’aime beaucoup mais tu n’es même pas comparable à la chope de bière que je bois chaque soir devant la télé?
Je force le trait, mes frères bienaimés, mais pour vous faire comprendre que l’amour, s’il veut sincèrement être un amour dans le sens plénier du mot, est insatiable : il prend tout !
Il nous prend aux tripes. Il descend jusqu’au tréfonds de notre cœur….

L’amour. Quelle dépossession !2

Si nous aimons, nous ne pouvons pas imaginer notre vie sans la personne que nous aimons. Bien sûr, nous ne pouvons pas être constamment avec elle, car nos obligations, le travail, les engagements personnels nous séparent.

C’est la vie de tous les jours.
Toutefois, la séparation physique, paradoxalement, n’impacte nullement la communion des personnes qui s’aiment. Celui, celle que nous aimons est toujours présent en nous. A chaque instant, même inconsciemment, nous nous tenons.

Aimons-nous toujours Dieu comme au premier jour, quand nous l’avons découvert lors de notre première communion ou pendant une révélation personnelle ou une prière intime ?
Est-il bien toujours la source de notre dynamisme, de notre vie ?
Et pour notre prochain, au préalable avons-nous le cœur sur la main ?

Je vous laisse répondre mes frères et sœurs bienaimés, dans l’intimité de votre être… mais je pense que je ne suis pas loin de la vérité si je vous dis : le christianisme ne fait que commencer en nous….

Amen
1 Victor HUGO, Les Contemplations (cfr., http://www.pensees-citations.com/citation/amour-bonheur-victor-hugo-2419 )
2 Robert Lalonde, comédien et romancier québécois, cfr., http://dicocitations.lemonde.fr/citations/citation-114353.php