Homélie : Il n’y a qu’un seul problème qui existe toujours et partout: le problème de notre présence auprès du Christ. 31ème dimanche du Temps ordinaire, année B, le 4 novembre 2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Il n’y a qu’un seul problème qui existe toujours et partout:
le problème de notre présence auprès du Christ.

Lectures :
Dt 6,2-6 : Tu craindras le Seigneur ton Dieu.
Hbr 7,23-28 : Jésus est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu…
Mc 12,28b-34 : Quel est le premier de tous les commandements ?

Nous connaissons assez bien la société dans laquelle vivait notre Maître, Dieu en personne, Jésus le Messie. Les pages de l’Évangile relatent abondamment les situations où le Christ accomplit ses actions en faveur des opprimés, des oubliés, des méprisés. Il guérit donc les malades, prône la générosité envers les pauvres et les veuves. Il libère les possédés
des démons. Il réintègre ceux qui y étaient exclus du peuple à cause de leur profession ou de leur impureté d’âme ou de corps.
Sans aucun doute, le Christ ne s’esquivait pas face à la misère du monde, aux situations difficiles, injustes, moralement douteuses. Partout où un tel cas se présentait à Lui, le Christ réagissait avec justesse.
D’ailleurs, si tant de gens le suivent dans leur choix de vie encore 2000 ans après, cela tient en grande partie à son grand humanisme et sa compassion sociale. Certes, ils admettent ses origines divines, néanmoins, s’ils l’aiment, c’est surtout pour sa proximité à l’être l’humain et pour sa compréhension pour les faiblesses qui l’accablent.
Pas plus loin qu’hier soir, je parlais des différents problèmes économiques avec une personne de mon voisinage se disant athée. Et elle, bien qu’athée qu’elle soit, tout d’un coup en évoquant la personne du Christ, me dit :
Et Jésus ? N’avait-il pas parlé de partager la richesse avec les pauvres ?

Il est certain que le Christ a été révélé par le Nouveau Testament comme un homme nouveau – un homme parfait, comme un idéal. Un héros, voire un champion de la lutte pour la justice et l’équité dans ce monde qui est aussi le nôtre.

Notre Seigneur Jésus Christ n’était pas dupe. Il savait que les gens le prenaient pour un tribun populaire, un prophète aux pouvoirs inouïs, comme un nouveau Moïse, un potentiel chef de file qui pourrait enfin mettre un terme à l’occupation romaine. La Pax Romana n’était pas la plus dure, mais elle était tout de même un joug étranger à supporter.

Malgré ces attentes intenses, Jésus le Christ – et vous le savez parfaitement, mes frères et sœurs bienaimés – se défendait toujours d’endosser le rôle que les gens lui proposaient.
La question du scribe que nous avons entendue lors de la proclamation de l’Évangile allait également dans ce sens, voulant entraîner le Christ dans les méandres des permis et des interdits humains en vigueur chez le peuple juif de l’époque. Ainsi, le Christ aurait dû s’occuper surtout du temporel.
Mais Jésus ne voulait pas entrer dans la casuistique juridique….
Fidèle à Lui-même, il allait directement à l’essentiel du sujet. Il répondait clairement :
Tout est bien plus simple qu’on ne le pense. C’est à Dieu que revient la première place.
C’est Lui qui doit être la première référence, dans toutes les affaires du quotidien. L’amour de l’homme envers Lui devrait être sans réserve, généreux, total.
Il ne doit pas l’aimer n’importe comment, il doit l’aimer de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit. Bref : de tout son être !

Le ton est donc donné !
Cependant, la vie de tous les jours semble nous éloigner de cette option de prédilection car nous nous soumettons à gérer les urgences.
L’indigence s’invite à notre porte, le cri du pauvre, de l’immigré et du sans-papier se fait priorité. Ainsi, il nous paraît indispensable d’aller au charbon, de retrousser les manches de la solidarité, de nous tenir sur la brèche de la fraternité.
Et nous, chrétiens, savons répondre aux demandes des nécessiteux. C’est même notre titre de noblesse. Les statistiques prouvent bien que si les chrétiens se retiraient de toutes les associations caritatives, culturelles et artistiques œuvrant pour le bien de l’autre, un vide abyssal se creuserait…. et le réseau d’organismes sociaux s’appauvrirait considérablement.

Toutefois, nous devrons aussi prendre en compte d’autres éléments pour saisir mieux la vérité sur nous-même.
Ainsi, les statistiques qui s’intéressent à la pratique de la foi chez les baptisés sont aussi explicites. Elles dénoncent que nos églises se vident, les assemblées vieillissent, le nombre des baptêmes baisse…
Je pense que cela est moins perceptible dans notre paroisse dont les effectifs ne désenflent pas; néanmoins, de-ci, de-là, on entend que des paroisses se réorganisent, se regroupent, se centralisent pour maintenir au chaud ceux qui se reconnaissent encore, à la fois croyants et pratiquants.

Dernièrement, j’ai pu séjourner quelques jours en Alsace et visiter l’un des plus beaux villages sur la route des vins, Eguisheim. C’était un dimanche…
Sur Internet, j’ai pu m’informer que dans l’église du village aurait lieu une grande messe à 11h00.
Une grande messe ? C’est chouette, me suis-je dit. Je pourrai voir la foi des alsaciens qui vivent sous le régime concordataire, donc bien plus favorable à la pratique de la foi.
Avide de découvrir cette pratique, je m’y suis donc rendu…
J’y ai trouvé une belle église, bien entretenue. Plus grande que celles de chez nous, Chazay ou Chasselay. La sacristine était agréable, le curé aussi.
En revanche, à la messe, nous n’étions pas plus de quatre-vingts personnes. Heureusement avait lieu un baptême, fort de ses 30 convives…. Autrement, nous n’aurions été qu’une cinquantaine de personnes à la grand-messe dominicale.

Bien évidemment, ce n’est pas une situation courante partout, on pourrait la confronter à l’exemple d’églises bondées, vivantes et qui donnent envie.
Si je me suis quand même permis de mentionner une certaine désaffectation des pratiques religieuses, c’est pour souligner une régularité facile à constater :
Là où Dieu a disparu ou est devenu secondaire, laissant ainsi sa place à l’homme et ses problèmes, la foi s’amoindrit et se transforme en une sorte de spiritualité humaniste.
Là où l’amour de Dieu est remplacé par l’amour des hommes et les combats sociaux, les communautés de foi se désertifient.
Là où le prêtre parle comme s’il était un syndicaliste, un travailleur social ou un éducateur spécialisé, L’Église ne poursuit sa mission d’évangélisation que partiellement.
D’ailleurs, au bout d’un moment, les gens qui fréquentent une telle paroisse ne ressentent plus la différence entre l’engagement chrétien dans le monde et l’engagement tout court. La spécificité propre à l’homme croyant en Christ, tout simplement, disparaît. Dès lors, pourquoi devoir se rendre à l’église, si les médias et les politiques tiennent le même discours ?
En outre, si actuellement les communautés nouvelles et traditionnelles ont le vent en poupe, c’est dû justement à l’immense soif de l’Évangile qui ne se réduit pas seulement au manuel de bonnes actions à faire.

Mes frères et sœurs bienaimés,
C’est une fausse piste que de vouloir opposer la foi et l’acte concret, l’amour de Dieu et l’amour du prochain.

L’enseignement de l’Évangile du jour est sans ambigüité : il ne comporte aucune contradiction.
Par contre, il y a une hiérarchie à respecter : c’est Dieu d’abord ! Pas de substitution !
Messire Dieu, premier servi – disait saint Jeanne d’Arc. Et elle avait raison.
Là où Dieu occupe la première place, là tout est à sa place – disait saint Augustin. Et il avait également raison.

Si le Christ insiste là-dessus, c’est pour éviter d’idolâtrer l’humain… ce qui pourtant se réalise devant nos yeux.
Où Dieu est effacé, remisé au placard de l’histoire, l’homme se juge divin, à l’instar des empereurs romains qui se laissaient d’abord diviniser par les foules. Et lorsque ce processus n’était pas assez rapide, ils se divinisaient eux-mêmes.
Leur civilisation n’existe plus depuis longtemps. Elle est disparue, car les césars n’étaient que de faux-dieux – de simples idoles – vêtus d’or et de pourpre.

Quant au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, Il existe toujours puis-qu’étant le principe même de la vie. Et cette vie, Il la donne en abondance…
Il la communique alors généreusement à tous ceux qui s’approchent de Lui avec un cœur humble.
Par conséquent, Dieu n’est jamais le concurrent de l’homme ; n’oublions pas qu’il est sa création la plus aboutie. Ainsi, Il souhaite pour lui une réussite continuelle.
N’avons-nous pas entendu, au cours de la lettre aux Hébreux, la phrase confirmant ce que je viens de dire ?
Jésus, lui, parce qu’il demeure pour l’éternité […] est capable de sauver d’une manière définitive ceux qui par lui s’avancent vers Dieu, car il est toujours vivant pour intercéder en leur faveur.

Vous voyez bien, mes frères et sœurs bienaimés, que Dieu ne nous prend aucunement la place. Il est de notre côté…
Il nous propose des trajectoires sûres qui nous permettront de parvenir au terme des choix moralement vertueux.
Du coup, visant Dieu, nous visons toujours le centre – le but ultime – les fins dernières. Le risque que nous nous perdions sur les routes tortueuses de la vie se réduit à zéro. C’est donc rassurant.

Enfin, je voudrais vous offrir l’une des pensées de saint Jean Paul II.
Il l’a prononcée au Bourget le 1 juin 1980, lors de sa première visite apostolique en France.

Peut-être vous souvenez-vous de la messe qu’il y avait célébrée au pied de la cathédrale Saint Denis décorée pour l’occasion d’une grande banderole portant cette inscription en lettres blanches sur fond rouge – tout est un symbole :
«La vie d’un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde. »

Le pape n’a pas ignoré le message…
Il parlait donc du travail, de la peine qu’il faut parfois produire, des difficultés pour en trouver, de son expérience d’ouvrier dans une carrière de pierres rattachées à l’usine chimique Solvay… mais aussi le pape parlait de l’essentiel des problèmes du monde contemporain, qui semble-t-il, détache sa vie de Dieu.

Je vous confie donc sa pensée en adéquation avec l’Évangile d’aujourd’hui.
Le problème de l’absence du Christ n’existe pas.
Le problème de son éloignement de l’histoire de l’homme n’existe pas.
Le silence de Dieu à l’égard des inquiétudes du cœur et du sort de l’homme n’existe pas.
Il n’y a qu’un seul problème qui existe toujours et partout: le problème de notre présence auprès du Christ. De notre permanence dans le Christ.
De notre intimité avec la vérité authentique de ses paroles et avec la puissance de son amour.
Il n’existe qu’un problème, celui de notre fidélité à l’alliance avec la sagesse éternelle, qui est source d’une vraie culture, c’est-à-dire de la croissance de l’homme, et celui de la fidélité aux promesses de notre baptême au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit!

Amen

1 De l’homélie du Saint-Père Jean-Paul II, le Bourget, le 1 juin 1980