Homélie : Miracle et conversion 30 dimanche du Temps ordinaire, année B, le 28 octobre 2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et st Paul
en val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Miracle et conversion
30 dimanche du Temps ordinaire, année B, le 28 octobre 2015

Lectures :
Jr 31,7-9 : Poussez des cris de joie pour Jacob….
Hbr 5,1-6 : Tout grand prêtre est pris parmi les hommes.
Mc 10,46b-52 : L’aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus.

Mes sœurs et frères bienaimés,
Qui de vous n’a pas prié, au moins une fois, pour qu’un miracle s’accomplisse, soit dans sa vie, soit dans la vie de ses proches ?
Y-a-t-il quelqu’un qui n’ait jamais rien demandé de tel ?

Je ne le pense pas…
Cela est particulièrement vrai lorsqu’une maladie grave, voir incurable, s’invite dans notre quotidien et que le risque de perdre un être cher augmente vertigineusement.

De temps en temps, des gens m’évoquent le cas d’un cancer, d’un accident ou d’autres drames s’abattant sur leurs familles. Ils me parlent du divorce de leurs enfants, d’une mauvaise conduite suivie par l’un de leur petits enfants – pourtant « si mignon, si gentil lorsqu’il était petit ».
Je connais une dame d’un grand âge, fidèle croyante, qui me reçoit régulièrement chez elle pour la confession et la Sainte Communion. Une fois assis, elle me parle de ses enfants et de leur progéniture…
Mon Père, me dit-elle, pour plupart d’entre eux, ils sont divorcés, remariés, certains même deux fois, d’autres vivent sans aucun lien conjugal formel…
Un bon nombre des petits enfants n’est pas baptisé, quant aux arrière-petits enfants, n’en parlons pas !
Et elle conclut : « Mon Père, priez pour eux… et leur conversion ».

Ne trouverez-vous pas osée sa supplique ?
La prière pour la conversion de quelqu’un d’incrédule, croyant peu ou pas du tout a-t-elle vraiment un sens ? Elle frôle tout de même l’ingérence !
Seule une intervention divine directe – donc miraculeuse – pourrait satisfaire cette Mamy préoccupée…

De tout cœur, j’aimerais que les choses se déroulent comme elle le souhaite : je prie, donc !
Toutefois, il m’arrive de me poser la question :
Dieu peut-il nous sauver malgré nous, sans que nous le voulions expressément ?
L’amélioration espérée peut-elle justifier l’outrage au libre arbitre de l’homme ?
Autrement dit, paraphrasant un dicton populaire : atteignons-nous vraiment un mieux en forçant à boire un âne qui n’a pas soif ?

Déjà, le grand saint Augustin d’Hippone – surnommé le docteur de la grâce -répondait aux objections de ce genre-là. Ainsi disait-il dans un sermon :
 » Dieu nous a créés sans nous, [mais] il n’a pas voulu nous sauver sans nous  »

Mes frères et sœurs bienaimés,
Théoriquement et pratiquement, bien sûr, Dieu peut le faire. Étant l’Être suprême et tout-puissant, il agit en pleine liberté. Il peut alors suspendre toutes lois et règles qui régissent le monde, liberté de l’homme comprise.
Soulignons-le, Dieu a la capacité de tout faire, selon son bon vouloir… pour parvenir à ses fins.
Mais il ne le fait pas !

Ici, mes frères bienaimés, nous touchons du doigt à la grandeur et la délicatesse de notre Seigneur, créateur du ciel et de la terre, tel qui nous est révélé par la Bible. Dieu, le Père de tout ce qui existe, le Maître de tout, s’abstient de son propre chef de certaines actions. A Lui-même, Il pose des limites.
Il en possède le pouvoir infini… mais ne l’utilise pas toujours.
Car Dieu sait que le véritable bien, le bien absolu, ne s’obtient nullement par des actes mauvais et malhonnêtes, imparfaits en soi.
Le bien au sens de la perfection morale naît d’un processus d’actes vertueux…
On ne peut donc pas parvenir à un vrai bien moral en passant par des moyens moralement douteux. Si cela se produit, le bien n’a plus de valeur objectivement bonne : il n’est qu’un bien relatif. Moralement bon sous un certain angle, pour certaines personnes, pour un certain temps, en fonction des circonstances….

Prenons ainsi l’exemple des discussions qui animent tant nos débats dits « sociétaux». Je pense ainsi au mariage entre personnes du même sexe, à l’adoption d’enfants par les couples homosexuels, à la PMA, à la GPA…
Tout échange sur ces sujets-ci tourne finalement autour du bien moral, objectivement ou relativement bon.
D’une part, certains disent : si l’action finit par procurer un bien, en l’occurrence la naissance d’un enfant, son adoption, le bonheur des personnes, tant pis si certains des actes précédemment commis étaient intrinsèquement mauvais : c’est la finalité qui prime !
Par ailleurs, d’autres, étayés sur des fondements ontologiques, sur des arguments philosophiques et théologiques, prônent l’écologie intégrale de l’homme, répondant : Non, la fin, quoi qu’elle soit louable, ne justifie pas les moyens.

Je ne vais donc pas en discuter plus, car je pense que vous saisissez clairement l’essentiel du problème.
Par contre, j’aimerais souligner une chose très importante et forcément à retenir dans notre réflexion sur la toute-puissance de Dieu et sa manière d’agir dans le monde : le Seigneur Dieu, de sa propre initiative, met un frein à son pouvoir intégral. Il le restreint, pour ne pas en abuser.
Ainsi agit-Il contrairement au souhait de l’homme contemporain qui se voit omnipuissant à la suite de ses prouesses scientifiques. Cet homme-là se dit donc : si je peux faire techniquement quelque chose, pourquoi devrais-je m’en abstenir ?
Par conséquent, tout interdit – toute mise en demeure – est subie comme une attaque à son indépendance…
Pourtant, il aurait intérêt à contempler Dieu Créateur qui, en toute liberté, renonce à son pouvoir illimité quand le but recherché ne vise pas le bien objectivement bon et vrai. C’est ça, la sagesse divine : viser toujours et partout le beau, le bon et le vrai !

Laissons à présent, mes frères et sœur bienaimés, nos réflexions
sur la liberté pour revenir au sujet principal, c’est à dire aux miracles tant espérés et pourtant si peu courants dans notre quotidien.
La demande d’un miracle n’est pas exaucée d’office, automatiquement : « je prie, j’obtiens » !

Bien évidemment, nous avons le droit de les multiplier et de les faire monter en puissance…, comme allumer des bougies par dizaines ou faire un pèlerinage. Tout y est utile et prédispose à accueillir une action surnaturelle dans notre vie.
Néanmoins, et ici je vais vous décevoir, mes frères bienaimés, cela ne suffit pas. Désolé !
Si les seules paroles suffisaient pour que Dieu accomplisse des miracles, cela se saurait !

Pour que Dieu agisse d’une manière extraordinaire, il est nécessaire d’emprunter aussi une démarche peu banale. Elle doit être plus complexe, englobant tout l’être du solliciteur.
Tant que son cœur ne change pas, que sa foi n’augmente point et sa volonté reste inerte, excusez-moi, mais autant les chances que ses Pater et ses Aves se soldent par un résultat infime.

L’Evangile du jour parlant de la guérison miraculeuse d’un aveugle surnommé Bartimée fournit un enseignement précis sur la manière d’émouvoir le Christ et lui démontrer qu’il ne s’agit pas tant d’obtenir la santé du corps ou une faveur exceptionnelle que d’une véritable et durable conversion à Lui.

Revenons donc, mes frères et sœurs bienaimés, au texte de l’Evangile afin d’en soustraire 5 phases – 5 pas à suivre – afin que notre sollicitation d’un miracle soit recevable et prise au sérieux, sachant que Dieu se réserve toujours le dernier mot dans l’affaire…

Le premier pas, c’est d’avoir conscience de son état de vie. Reconnaitre que nous avons besoin de Dieu : « Fils de David, prends pitiés de moi » criait Bartimée.
D’arrêter de traiter, même inconsciemment, Dieu de valet de chambre – de bonne à tout faire. Il est le Messie.

Le deuxième pas : se lever du bord du fossé de notre vie pour se lancer sur le chemin, en mouvement, comme Bartimée l’a fait.
Cela parait évident mais pourtant, combien de fois nos actes ne suivent-ils pas nos paroles ? Nous voudrions que notre vie change, se pare de vives couleurs, soit animée, féconde, suscitant l’envie…

Nous prions donc le bon Dieu… mais rien ne change, puisque nous restons assis sur les acquis et suivons complaisamment les conseils de gens qui nous empêchent de nous lever et de marcher.

Le troisième pas : afin de ne pas rater sa rencontre avec Dieu, Bartimée se dépouille de tout ce que l’encombre. Il jette son manteau… En voilà un signe fort !
A l’époque, pour un mendiant, son manteau était comme sa maison. Il le préservait du froid, de la pluie… Durant la nuit, il s’emmitouflait dedans…
C’était son véritable chez soi.
Il n’est pas aisé pour nous de comprendre le geste de Bartimée car nous changeons de manteaux et parkas presque à chaque saison. Mais pour lui, le fait d’avoir abandonné son manteau, la chose la plus précieuse qu’il possédât, était un gage de changement radical. Il décidait de tout quitter… pour gagner encore plus, en l’occurrence une vie nouvelle, celle d’un voyant !

Le quatrième pas consiste à s’approcher réellement du Christ et de formuler clairement sa demande : Rabbouni, que je retrouve la vue !
Le Seigneur Dieu connait très bien nos besoins, des flots de paroles, de justifications, d’ergotage: « pourquoi et comment » sont donc inutiles.
Le bavardage ne l’impressionne jamais.

Et enfin, le cinquième pas, qui atteste de la sincérité de notre cher aveugle. L’évangéliste Marc l’a noté : une fois guéri, Bartimée, suivait Jésus sur le chemin.
Quant à nous, combien de fois prions-nous avec autant de ferveur… puis une fois la grâce obtenue, abandonnons le Christ pour retourner à nos affaires d’avant.
Pure ingratitude, qui met à nu nos intentions et découvre que notre demande n’était qu’intéressée, puisqu’au fond, nous ne voulions pas accroître notre foi en Dieu mais tout juste l’utiliser pour notre bien privatif.

Mes frères et sœur bienaimés,
Je pense qu’à présent vous comprenez mieux que le souhait de recevoir des signes éminents dans notre vie – appelés miracles -, ne se limite pas à la parole, mais à la démarche volontaire et complexe du demandeur.

Le Christ refusait de se voir comme un prestidigitateur – un faiseur de miracle à la demande. Moult fois il refusa de satisfaire des sollicitations insistantes de la part du peuple, des pharisiens, des scribes.
En revanche, chaque fois qu’il montrait sa puissance divine, il souhaitait que l’homme se convertisse à la foi en Lui, unique Sauveur du monde.
Ainsi, guérissant miraculeusement le corps du plaignant, notre Seigneur Jésus le Christ, en réalité, le guérissait tout entier car « à quoi sert-il à un homme de gagner tout le monde, s’il y perd son âme » ?

Amen
² Mc 8,36