Homélie : « Etre esclave de tous » signifie-il vraiment occuper le poste de domestique? 29 dimanche du temps ordinaire, année B, le 21.10.2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse st Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

« Être esclave de tous »
signifie-il vraiment occuper le poste de domestique?
29 dimanche du temps ordinaire, année B, le 21.10.2018

Lectures :
Is 53,10-11 : Le juste, mon serviteur, justifiera les multitudes…
Hbr 4,14-16 : tenons donc ferme l’affirmation de notre foi.
Mc 10,35-45 : celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous.

A peine quatre jours auparavant, j’ai célébré à Marcilly d’Azergues des funérailles dont l’Évangile abordait le même sujet que celui d’aujourd’hui.
Ainsi, je commencerai donc mon homélie de la même façon que celle prononcée mercredi dernier.
Si à la fois je vous demandais et vous proposais :
Un poste de directeur au Département du Rhône ?
Ou bien celui de commandant de bord à Air-France ?
Ou encore celui de rédacteur en chef du journal télévisé de France 3, que me répondriez-vous ?

En dépit de vos qualités propres et de vos expériences professionnelles, la majorité d’entre vous, sinon tous, me répondrait : oui !
Car l’occasion serait trop belle pour passer à côté. De surcroît, le prestige, l’admiration de la part des autres, un bon salaire y seraient associés : alors, il n’y aurait aucune raison de décliner cette offre.

Par contre, si je vous proposais un poste subalterne, un emploi ordinaire dans une entreprise ou dans une structure associative, que me répondriez-vous ?

Je pense que votre « oui » ne serait plus aussi enthousiaste et spontané que le premier. Vous examineriez plutôt à la loupe les conditions de travail, les avantages et les inconvénients qui y seraient liés… jusqu’à la distance même séparant votre domicile du lieu de travail vous ferait réfléchir.
Et je vous comprendrais… Je ne vous en voudrais même pas !
Le monde aujourd’hui est ainsi fait….
Chacun rêve d’un poste important, d’une paye confortable, d’un pouvoir à exercer sur les autres…

Même les jeunes entrant dans le marché de travail, sans aucune expérience particulière, souhaitent décrocher au plus vite, voire même tout de suite, une charge de manager plutôt qu’un emploi au bas de l’échelle.

Mes sœurs et frères bienaimées,
Vous m’avez peut-être trouvé provocateur, mais je voulais, par les questions préliminaires, que vous preniez conscience que trop souvent la lecture de l’Évangile – de la Bible ou d’autres textes magistériels – est souvent trop hâtive. Elle s’arrête à la première impression. Faute de temps et de rigueur, nous survolons le contenu, sans vraiment entrer dans son sens profond.
Le meilleur exemple est justifié par les textes qui parlent du service, d’être serviteur des autres, allant jusque devenir leur esclave.
Nous, les catholiques, pensons que la véritable vertu chrétienne est d’occuper, toujours et partout, les dernières places, de ne pas trop se faire voir, de se laisser dominer, constamment et par tous.
Excusez-moi, mais une telle vision de l’humilité est exagérée – sur- interprétée !
Elle vient de cette fausse conception d’humilitas, trop souvent confondue avec la déconsidération, la dégradation et la sous-estime de soi.
Rien de tel !
Ne confondons pas « humilité » et « mépris de soi ».
Dans le mépris de soi, on nie sa propre existence, alors que dans l’humilité, on accepte pleinement l’existence dans son ensemble. Ce n’est évidemment pas non plus un sentiment d’infériorité ni de servilité.
André Comte-Sponville, philosophe français – il se déclare pourtant lui-même « athée fidèle » – a quand même bien saisi le sens chrétien de l’humilité, la décrivant ainsi : « L’homme humble ne se croit pas inférieur aux autres : il a cessé de se croire supérieur. Il n’ignore pas ce qu’il vaut, ou peut valoir : il refuse de s’en contenter».
Et Comte-Sponville complète sa pensée dans son Petit traité des grandes vertus, de la manière suivante : l’humilité « n’est pas ignorance de ce qu’on est, mais plutôt connaissance ou reconnaissance de ce qu’on n’est pas. […] L’humilité est vertu lucide […] de l’homme qui sait n’être pas Dieu. […] Être humble, c’est aimer la vérité plus que soi ».

Ici, nous nous trouvons directement face au conseil majeur donné par notre Seigneur Jésus le Christ : si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres.

Et pour comprendre mieux qui sommes-nous vraiment, nous, disciples du Christ, il nous faut réentendre ses encouragements systématiques à notre égard.
Notre Seigneur ne se lassait pas de répéter que nous ne devrons pas être à la traîne du monde, mais plutôt être son challenge – son phare – son avenir :
« Vous êtes la lumière du monde. Vous êtes le sel de la terre ».
L’aurions-nous oublié, mes frères bienaimés ?

Après ces quelques clarifications concernant l’humilité, comment comprendre la phrase de l’Évangile d’aujourd’hui, qui – apparemment – nous incite à devenir esclaves de nos pairs ?
Comment saisir son sens précis ?

C’est pourtant simple, mes frères bienaimés : il faut lire ledit texte avec attention. Notre Seigneur a donc dit : celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous.

Avez-vous bien compris cette parole du Christ ?
Le Christ demande-t-il d’abandonner tout désir de gouverner ? – Non !
Il n’appelle pas non plus à la démission des hauts postes pour n’occuper que les dernières places, les plus ingrates.
Il a tout simplement dit : celui qui veut être parmi vous le premier…
Ainsi, le Seigneur soutient celui qui a le courage d’assumer des responsabilités au sein de la communauté de disciples. Il ne méprise pas du tout l’ambition de devenir grand aux yeux de ce monde.

En revanche, par la deuxième partie de sa phrase, il voulait mettre l’accent sur la façon dont cette haute fonction doit s’exercer, qui doit se traduire essentiellement par un dévouement sans relâche envers les autres.
Autrement dit , notre seigneur Jésus Christ n’empêche pas de prendre les postes clés au sein de la société, mais sous réserve, et cela est la spécificité propre du christianisme, qu’elles seront exercées non pas pour la gloire et le profit personnel, mais pour le bien commun.

L’être vraiment humble est celui qui, occupant des postes importants et nobles, reste toujours à l’écoute de l’autre et n’abuse pas de son pouvoir. Ses relations avec son prochain restent toujours cordiales et respectueuses.
De cette manière, il est ainsi facile de distinguer les grands hommes des petits chefs qui, gonflés d’orgueil, sont exaspérants et agressifs envers leurs pairs.
La véritable grandeur n’a pas besoin de se gonfler, elle suscite le respect d’emblée.
Nous tous habitons ici, dans une région semi-rurale, alors peut-être avez-vous remarqué que la branche d’un arbre fruitier qui porte le plus grand nombre de fruits, s’incline naturellement jusqu’à terre…. Par contre, celle qui n’en a guère, pointe sans vergogne vers le ciel.
Voilà la différence entre l’humilité et la prétention : la première est foncièrement féconde et elle sait rester accessible, la seconde – la gloriole – brille mais n’éclaire pas.

Mes frères et sœurs bienaimés,
Quelles consignes concrètes devrions-nous tirer de l’enseignement du Christ ?
N’hésitons pas à assumer des responsabilités, à prendre la parole, à nous poster sur l’avant-scène. Le Christ ne nous interdit pas de devenir maires de villages, ministres, chefs de grandes entreprises ou de corporations.
Il nous soutien dans notre mission d’annoncer la bonne nouvelle partout où nous vivons et travaillons, mais à la condition expresse que nous donnions une nouvelle dimension aux pouvoirs exercés.
Notre manière de gouverner doit se différencier nettement de celle du monde, souvent brutale, égotiste, profiteuse.
Notre Seigneur l’a souligné avec force : Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi
Nous devons donc donner l’exemple.
Notre manière d’accomplir le service de gouvernance doit ainsi être évangélique: ferme dans le contenu, généreuse dans la gestion, altruiste dans le partage des fruits du travail.
Hélas, souvent, certains chrétiens occupant des postes dans des mairies, dans des organismes d’état ou siégeant au conseil d’administration d’entreprises
ne font aucune différence. Dans la plupart des cas, soit ils s’alignent sur la ligne de conduite commune afin de ne pas trop se démarquer, soit ils deviennent pires que les autres, comme s’ils voulaient à tout prix affirmer que leur foi n’a rien à voir là- dedans.
Ne connaissez-vous pas de parlementaires ou autres gens publics qui se disent croyants, voire même pratiquants et qui, pourtant, publiquement, soutiennent les lois ouvertement immorales et socialement ineptes ?
Mon expérience de curé prouve aussi que, dans la majorité des cas, là où je rencontre des chrétiens employés d’administration locale ou régionale, je peux faire une croix sur l’affaire que je suis venu traiter. Ils ne m’aident pas par conformisme, par peur, par démagogie ou calcul électoral…
Bien évidemment, je n’attends pas d’eux un passe-droit, un traitement de faveur… pas du tout ! Je n’attends qu’un service rendu par le catholique occupant une fonction, une profession, un poste de marque qui est qualitativement supérieur dans son travail. S’il l’accomplit comme tous les autres ou même pire, pouvons-nous vraiment l’appeler « serviteur » ?

Au sens de l’Évangile, devenir « esclave des autres » ne signifie pas devenir n’importe qui, la dernière roue du carrosse ou l’innocent du village… mais être entièrement voué à la tâche qui nous a été confiée. Et s’il fallait aller jusqu’au don de soi et de sa vie, le véritable disciple du Christ la donnerait sans hésiter.
Être serviteur signifierait alors, ni plus ni moins, que se mettre toujours au service, avec dévouement et efficacité, que l’on occupe le poste de directeur d’une multinationale ou celui de ministre.
D’ailleurs, savez-vous que le mot « ministre », issu de la langue latine, signifie : serviteur.
Le voilà donc, le sens véritable de l’enseignement du Christ : même si on occupe de hautes fonctions dans la société ou dans l’entreprise, on doit rester toujours à l’écoute et au service de l’autre. Le bienêtre du prochain est le but principal de tout travail et de toute activité.
A méditer donc !!!

5 Cfr., https://fr.vikidia.org/wiki/Ministre; http://www.cnrtl.fr/etymologie/ministre