Homélie : Ceci est mon corps, ceci est mon sang… Ces paroles ne pouvaient être dites à la légère, n’importe où, devant n’importe qui. Solennité du Saint Sacrement Le 3 juin 2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Ceci est mon corps, ceci est mon sang…
Ces paroles ne pouvaient être dites à la légère, n’importe où,
devant n’importe qui.
Homélie pour la solennité du Saint Sacrement
Le 3 juin 2018

Lectures :
Ex 24,3-8 : Toutes ces paroles que le Seigneur a dites, nous les mettrons en pratique.
Hbr 9,11-15 : Frères, le Christ est venu, grand prêtre des biens à venir.

Mes frères et sœurs bienaimés,
Peut-être à midi aurez-vous du monde à la maison.
Peut-être que votre fils, votre fille viendra avec sa famille et les enfants ?
Peut-être qu’une connaissance de longue date sera de passage dans la région et qu’il vous a contacté pour vous faire coucou ?
Peut-être que des collègues de travail viendront chez vous passer leur dimanche en votre compagnie ?

Et si ce n’est pas le cas aujourd’hui, chacun de vous reçoit chez soi des gens de temps en temps, puisque l’accueil à sa table fait partie de votre DNA.
Nous tous éprouvons toujours du plaisir à le faire, malgré ce que cela nous coûte en temps, en argent et surtout en investissement personnel.
Mes frères et sœurs bienaimés, pourquoi vous donnez-vous tant de mal pour recevoir quelqu’un à votre table ?
Seulement pour le plaisir de manger de bons plats préparés avec soin ?
Je ne le pense pas…. on peut les manger tout seul et plus rapidement….
Peut-être pour occuper votre dimanche ?
Je ne le crois pas non plus, car on peut avoir des activités moins contraignantes que celle de passer veille ou dimanche matin aux fourneaux….

Alors pourquoi prenez-vous autant de peine pour ceux qui viennent chez Vous ?
Parce qu’au fond, ce n’est pas – passez-moi l’expression – la bouffe qui prime dans votre accueil, mais le fait d’être ensemble, parmi les vôtres, assis autour de la même table….
Toute fête est belle si nous la vivons avec les gens que l’on connait et que l’on aime. C’est cela même la garantie de réussite de toute invitation que nous lançons ou acceptons. Passer notre temps avec des inconnus, avec ceux que rien ne nous lie n’est pas tellement drôle.
Notre grand Paul Bocuse, décédé en janvier de cette année, l’avait bien souligné :

Il n’y a pas de bonne cuisine si au départ elle n’est pas faite par amitié pour celui ou celle à qui elle est destinée.

Toutes proportions gardées, il en est de même pour la Sainte Messe.
Ce n’est pas un repas quelconque, dans un lieu neutre, avec des personnes qui nous sont étrangères.
La Sainte Eucharistie est surtout un repas entre amis.
En tout premier lieu, entre ceux qui sont amis du Christ.
C’est lui le Maître de la maison, c’est lui qui lance les invitations….
Mais la véritable amitié avec le Christ n’est ni sectaire, ni privative, elle n’exclut jamais…
Elle, fidèle à la règle : « les amis de mes amis sont mes amis », s’étend à tous ceux qui, comme nous, viennent à l’église pour communier au Christ.
Cette amitié entre nous, tissée avant même que la messe ne commence, attention, n’est pas facultative : elle est une nécessité.

Reprenez, mes frères et sœurs bienaimés, le texte de l’Évangile que j’ai proclamé tout à l’heure.
Au début, nous en sommes aux préparatifs. Le Christ envoie deux de ses apôtres vérifier que tout a été préparé pour le repas – la Sainte Cène.
Ensuite, le soir tombé, notre Seigneur Jésus Christ et ses disciples – les douze – se rassemblent au cénacle. Là-bas, exactement au milieu des siens, le Christ célèbre la première messe au cours de laquelle il prononce ces paroles intenses : prenez, ceci est mon corps… Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance !

Les apôtres ont bien compris que ce que le Christ vient de leur dire n’est pas une image, une figure stylistique. Ils ont compris que c’est LA NOURRITURE réelle et que le Christ – leur Maître bienaimé – le Messie, s’offre en sacrifice à chacun d’eux.
Je vous rappelle le contexte de cette soirée exceptionnelle au cénacle : la Sainte Cène est célébrée à peine quelques heures avant que le Christ ne soit arrêté au mont Golgotha et incarcéré. Dans seulement une vingtaine d’heures, le Christ donnera sa vie sur une croix pour le salut du monde.

Mes frères et sœurs bienaimés,
J’espère que vous saisissez la gravité du moment. Ceci est mon corps, ceci est mon sang, c’est l’aveu de la mission pour laquelle Dieu le Fils est descendu jusqu’à nous.

Ces paroles ne pouvaient être dites à la légère, n’importe où, devant n’importe qui. Elles ont été prononcées au milieu de ceux qui pouvaient les comprendre, donc devant les amis.
Seul l’ami peut appréhender la vraie portée de nos pensées et se fondre dans l’intimité de notre cœur. Seuls les amis peuvent se livrer mutuellement, sans réserve, sans avoir peur d’être ridiculisé, pointés du doigt, raillés, trahis….
La Sainte Messe – chacune d’elles me le rappelle – est un repas avec le Christ et ses amis qui sont et qui devraient être aussi les miens.
Alors, la Messe devient l’espace où nous pouvons tout nous dire, en toute confiance et en toute sécurité…, où tout simplement poser notre front sur le cœur du Christ, à l’instar de l’apôtre Jean.
Assister à la messe sans des liens d’amitiés avec le Maître ou ses convives est dénué de sens et…ne peut donc nourrir vraiment.

Imaginez que vous soyez invités au mariage du prince Harry avec Meghan, célébré il y a deux semaines en Grande Bretagne puis, ensuite, au cocktail donné dans la salle des banquets du château de Windsor….
Si vous y étiez conviés, comment vous sentiriez-vous parmi les 600 convives de la haute société où princes, ducs, comtes, marquis, barons, excellences, lords, gens de la même classe qui se côtoient régulièrement, dont les familles sont liées ou alliées, se connaissent et font des affaires depuis des générations ?
Comment vous y sentiriez-vous vraiment?
Bien sûr, vous seriez éblouis. Ce que vous verriez, ce que vous dégusteriez, sans doute vous donnerait l’occasion de prendre des centaines de photos…
Mais dans le fond, si vous ne connaissiez personne, si personne ne vous adressait la parole
– et vous-même bien sûr ne pourriez le faire – vous sentiriez-vous réellement heureux ?
J’en doute….

De même avec la Sainte Eucharistie que, ce weekend, l’Église fête dignement, d’une manière solennelle !
Si vous veniez seuls, sans connaitre qui que ce soit et sans être connu de personne, même si la liturgie, le décor, les chants vous plaisaient, vous vous sentiriez immanquablement étrangers… simples observateurs….

Pourtant, vous devriez toujours vous trouver à la messe comme un ami, un proche, un confident.
Et pour que cela se passe, il faut vous y prendre en amont….
Comme nous tous le faisons, lorsque nous voulons bien accueillir nos invités à la maison.

Pour vivre au mieux la Sainte Messe, pour qu’elle ravitaille notre âme, il est nécessaire, avant qu’elle ne commence, de se mettre en préparatifs et de tisser des liens d’amitiés au quotidien.
Et si notre paroisse vous propose beaucoup de choses, ce n’est ni pour occuper votre précieux temps, ni pour vous décrocher de l’écran télé… c’est pour vous donner d’occasions de vous faire des amis, de ceux qui, comme vous, se reconnaissent croyants en Jésus Christ.

Et tout cela nécessite, bien sûr, de la volonté et du temps.
Retournons, une fois de plus, au cénacle, en ce jeudi saint…
Avant que les apôtres ne s’assoient pour participer au Saint Repas, rappelez-vous combien de temps ils avaient déjà passé avec le Christ ?

Environ 3 ans !
3 ans, 36 mois, 7 jours par semaine, 24 heures sur 24…
Ç’avait été un temps à la fois d’écoute, de formation, d’épreuves, d’évènements exceptionnels vécus, où il avait fallu supporter les défauts de caractère des autres disciples, et réaliser des conversions personnelles.
Les apôtres avaient dû passer beaucoup de temps ensemble auprès de leur maître Jésus, pour devenir amis, avec Lui, et entre eux.
Ainsi, une fois rentrés au cénacle, ils réalisaient déjà que la véritable amitié est nécessaire pour que le repas avec le Seigneur ne soit pas un acte vide de sens, un culte abstrait.
Ils ont compris que la Sainte Messe engage le Christ mais qu’elle les engage aussi. Ils ont compris que la messe est un engagement… sans réserve et réciproque.
Bref, la Sainte Messe est une invitation destinée à des amis, fidèles, déterminés, soudés, généreux… jusqu’au don de soi… s’il le fallait.

Amen