Homélie : Le carême n’est… qu’une histoire d’amour ! Mercredi des Cendres, année B 14 février 2018.

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Le carême n’est… qu’une histoire d’amour !
Mercredi des Cendres, année B
14 février 2018

Lectures :
Jl 2,12-18 : Revenez à moi de tout votre cœur…
2 Cor 5,20-6,2 : Laissez-vous réconcilier avec Dieu
Mt 6,1-6. 16-18 : L’aumône, la prière et le jeûne comme Die les aime

La surprise est bien générale, me semble-t-il, par le fait que le mercredi des cendres survienne à la mi-février.
Il y a à peine quelques semaines, nous fêtions le nouvel an, coupe de champagne à la main, chapeau pointu sur la tête et, dehors, des feux d’artifice qui fusaient.
Et six semaines plus tard, aujourd’hui donc, le carême frappe à la porte, nous invitant à nous ressaisir et à reprendre un peu plus en main notre vie de chaque jour qui, facilement, part à la dérive, tentée par de multiples causes plaisantes.
La surprise est d’autant plus amplifiée que – hasard du calendrier oblige – l’entrée en carême tombe le 14 février, jour traditionnellement réservé aux amoureux. Chaque année ils le fêtent avec beaucoup de tendresse et d’ingéniosité, même si, pour la plupart d’entre eux, le saint évêque Valentin de Terni est complétement ignoré.
Cette coïncidence des deux dates en question, à première vue, paraît inconciliable.
Comment fêter l’amour avec notre bien-aimé(e) le mercredi des cendres ?
Comment se réjouir avec lui ou elle autour d’un bon repas orné de bougie, nous tenant par la main et nous regardant droit dans les yeux, un jour de jeûne et d’abstinence,
Ce contraste-là n’est-il pas colossal ?
Nous finissons donc par penser qu’amour et privations ne s’accordent pas puisqu’il parait difficile d’être à la fois sobre et généreux.
Vraiment, cela est-il vrai ?

Mes frères et sœurs, pour répondre à cette question, nous devons nous rappeler le sens fondamental du carême. Pourquoi, chaque année, nous est-il proposé ?
Dans quel but ?
En réfléchissant bien, nous devons en conclure que le carême n’est… qu’une histoire d’amour !

Plus précisément, le carême est le temps que nous nous accordons pour comprendre l’amour qui se donne entièrement, sans réserve, infiniment.
Pendant 40 jours alors, nous allons cheminer avec notre maître bienaimé,
Jésus Christ, et nous l’assisterons au quotidien, pour apprendre comment Il arrive à faire de soi-même un don total au soir du jeudi saint….
Dans l’après-midi du vendredi saint, les yeux interloqués, nous le voyons étendu sur la croix…, crucifié, à bout de souffle et pourtant complètement conscient de sa mission salvatrice. Les dernières paroles sortant de sa bouche « tout est accompli » en sont la preuve…

Enfin, au pied de la croix, nous comprenons que ce n’est pas une coïncidence aveugle de toute son histoire: son incarnation, son vécu au milieu de nous, son Évangile, sa passion… sa mort.
Pas encore tout à fait lucides, nous y apercevons déjà le mode opératoire de l’Amour Incarné. Une fois en lice, il ne peut faire l’économie de lui-même, il ne sait pas s’arrêter dans son élan…
Il va toujours au-delà de ses forces…. Persiste jusqu’au bout de ses engagements, même si ceux-là l’amènent immanquablement sur la croix….
Malgré le martyre que l’amour bafoué endure, l’amour ne meurt jamais !
Le don absolu porte toujours du fruit… Sa résurrection n’est qu’une question de temps car l’amour véritable reste fécond à jamais.
Là où l’amour calcule, manigance, use de stratagèmes pour ne pas se laisser consumer complétement, cet amour-là n’est plus l’amour!
Il n’est qu’un modus vivendi, une sorte de compromis pour se maintenir en vie…
Mais à quoi bon vivre si ce n’est pas, justement, pour aimer et être aimé beaucoup… passionnément… à la folie ?

Et nous le savons très bien, au fond.
Il suffit de regarder quelques films, lire quelques livres sur l’amour pour se rendre compte que l’amour, altruiste, héroïque, audacieux, même s’il finit quelques fois tragiquement et que le happy end n’est pas à son rendez-vous, révèle en nous la volonté d’en faire autant. Nous sommes subjugués par la beauté d’un amour désintéressé, complétement gratuit…. Et le souhait d’être aussi généreux, aussi courageux, aussi sincère nous envahit à tel point que même la mort ne nous fait plus peur.

Oui, mes frères et sœurs bienaimés, qui de nous ne rêve pas d’un tel amour : un amour qui nous affranchit de toutes les angoisses et les grisailles des jours ordinaires ?

Pour expérimenter un tel amour gratuit, nous ne sommes pas obligés d’attendre des situations exceptionnelles dans un décor romanesque. L’amour véritable est vécu surtout dans le concret de notre vie… Il y fait ses preuves… Il sait transformer l’ordinaire en extraordinaire…
Ici me vient à l’esprit une histoire très banale et touchante à la fois…
Il s’agit d’une femme, la maman d’un enfant de 2 ans…
Lui, ce petit gosse hospitalisé, la peur au ventre, était légitimement angoissé… Quand même, l’hôpital peut impressionner un tout petit!
La nuit approche…, il faut se séparer… Comment faire lorsque l’enfant s’accroche à sa main et, les yeux exorbités, baignés de larmes semblent supplier : ne pars pas, maman, … ne pars pas…
Peut-on vraiment le violenter un peu plus ?

Alors, la maman décide de rester auprès de son fils… Faute d’un lit, elle est contrainte de dormir à même le sol…
Un simple drap lui a été proposé en guise de matelas… mais rien ne l’a empêchée de rester auprès de son enfant.

Voilà une histoire qui s’est déroulée dans un environnement peu ravissant et pourtant elle matérialise réellement ce qu’est l’amour… Sans beaucoup de paroles, nous touchons à l’essentiel… Nous percevons l’amour comme un acte simple et concret !
Hélas, certains médias, politiques et syndicalistes ont profité de la situation pour dénoncer les conditions matérielles des hôpitaux et réclamer de la part de l’Etat plus de fonds.
Je ne dis pas qu’ils n’avaient pas raison, mais je trouve regrettable leur opportunisme qui les a fait passer à côté d’un bel acte d’amour qui ne se réduisait pas à la seule question de sous!
Mes frères et sœurs bienaimés,
Regardons ce carême qui s’ouvre cette année devant nous plus comme un temps d’enseignement de l’amour désintéressé et généreux que comme une période de restriction.

Le fait que je me prive d’un carré de chocolat, d’un verre de vin au repas, d’une cigarette…
Le fait que je m’abstienne de viande tous les vendredis…
Le fait que je donne une aumône pour soutenir ceux qui en ont besoin…
Tout cela est bon, louable, c’est une action digne…
Néanmoins, ce ne sont que les moyens de rendre l’amour beaucoup plus concret, efficace, fertile… parce que, soyons francs entre nous, là où l’amour est incapable de se priver de quoi que ce soit, il n’existe plus !

L’amour, dans sa nature même, est un acte de dépossession : celui qui aime se dépossède de soi-même. Il se décentre…
Il déplace le centre de ses intérêts vers une autre personne.
L’amoureux ne tourne plus autour de lui-même, de ses affaires, de ses besoins, de ses plaisirs…
Il dirige tout son être vers celui ou celle qu’il aime.
L’amour c’est une véritable révolution copernicienne : l’homme qui aime vraiment réalise qu’il n’est plus le centre du monde…
Cette découverte soudaine ne le désole pas pour autant. Il en est même heureux car il découvre enfin le soleil de sa vie.
Il veut donc graviter autour de lui… tous les jours, jusqu’à la fin de sa vie… et même bien au-delà du temps… dans l’éternité.

Amen