Homélie – Le bien ne meurt jamais. 31ème dimanche du temps ordinaire, année A

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse S. Pierre et S. Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

 

Le bien ne meurt jamais
31 dimanche du temps ordinaire, année A
(le 5 novembre 2017)

Lectures :
Ml 1,14b-2,1.2b.8-10 : Maintenant, prêtres, à vous cet avertissement…
Thess 2,7b-9.19 : … avec vous nous avons été pleins de douceur…
Mt 23,1-12 : Pratiquez et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire. N’agissez pas d’après leurs actes,
car ils disent et ne le font pas.

Mes chers frères et sœurs,

L’Évangile d’aujourd’hui nous pose, entre autres, une question fondamentale :
Le mal peut-il être absolu ?
L’’homme pourrait-il être si mauvais qu’il n’y aurait rien de bon en lui ?
Face aux criminels éminents, aux terroristes qui tuent des innocents, aux récidivistes,notre réponse est dans la majorité des cas sans appel, spontanée :en ces gens-là, rien n’est bon ! Tout naturellement, nous réclamons pour eux les peines les plus lourdes,la peine capitale y comprise.

L’Évangile ne nous contredit pas…, mais nous invite à pousser plus loin la réflexion sur l’absolu du mal et la pérennité du bien.
Il nous invite à franchir un pas de plus dans la recherche de la vérité… aux delà des opinions faciles, toutes faites d’avance…

Le Christ, fidèle à lui-même, nous apprend à aimer les ennemis et les pécheurs,plus précisément à discerner en eux les pépites d’or de bonté que Dieu le Pèrea déposées en eux, et qu’eux même souvent ignorent. Pour Jésus, et cela n’était pas comme pour nous non plus, chose facile.

Les pharisiens, souvenons-nous, n’étaient pas des sympathisants de notre Seigneur Jésus Christ. Ils cherchaient plutôt comment le perdre.

Ces derniers dimanches, nous assistons, pendant la lecture de l’Évangile,aux séries d’atteintes – pièges verbaux – qui visaient le Christ. Tout se passait gentiment, comme s’il n’y avait rien de mieux à faire,en guise de recherche spirituelle ou de conseils avisés :

Quel est le grand commandement, rabbi ? Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ?

Bien évidemment, ce n’étaient pas les réponses de l’interrogé que recherchaient les scribes et les pharisiens, mais sa tête.

Le Christ connaissait leurs machinations. Sans aucune peine, il démasquait leur conduite en public, en les nommant : hypocrites, serpents, race de vipère, sépulcres blanchis…

Ce n’étaient pas du tout des compliments, reconnaissons-le, mes frères bienaimés. C’était de la critique, pure et simple…

Et pourtant, le Christ ne les a pas exclus du salut pour autant… et à l’avance. Il a plutôt cherché à les convertir, se laissant inviter par eux, parfois lui-même s’invitant chez eux (Lc 11,37-54).

Le Christ reste le modèle du pasteur qui cherche la brebis perdue… parce qu’il sait que dans l’homme, le pire soit-il, le bien est asphyxié par la lâcheté,ligoté par les vices, oublié, délaissé, dédaigné et tout ce que vous voulez,mais ce bien-là n’est pas mort !
Le bien ne meurt jamais !
Certes, il est parfois enfoui au plus profond de l’être humain, malaimé, ignoré,indignement traité, mais sa petite voix flûtée se fait entendre régulièrement :
Vraiment, veux-tu faire ou dire cela ?
Vraiment, es-tu heureux de te conduire ainsi ?
Ce mal que tu as commis t’a-t-il procuré un réel bonheur ?

Le Christ aujourd’hui, en toute lucidité, parle aux pharisiens : il connait leurs points faibles et pernicieux. Il est conscient qu’ils ont détourné la religion devenue leur propriété exclusive, à eux-seuls réservée !

Néanmoins, il reconnaît en eux aussi des qualités… et malgré tous leurs vices, il déclare aux foules qui l’écoutent religieusement : Les scribes et les pharisiens enseignent dans la chair de Moïse. Donc, tout ce qu’ils peuvent vous dire, faites-le et observez-le. Certes, il y ajoute « mais n’agissez pas d’après leurs actes, car ils disent…et ne font pas » ; en revanche, notre Seigneur ne remet pas en cause leur compétence et leur profonde connaissance des écritures.

Ainsi, le Christ et l’Église le suivant fidèlement, distinguent, depuis, clairement le bien et le mal, le bon grain et l’ivraie, le péché et le pécheur. Retenons-le pour toujours, mes frères bienaimés : la morale chrétienne condamne fermement et sans appel le crime… mais pas le criminel. Pour celui-ci, elle garde toujours l’espoir d’une conversion personnelle… Elle croit en lui, envers et contre tous les indicateurs au rouge.Elle croit, même si reste du monde ne croit plus.

Dieu ne l’a-t-il pas promis, disant dans le livre du prophète Isaïe : Une femme peut-elle oublier son nourrisson, ne plus éprouver de tendresse pour le fils de ses entrailles ? Même si elle l’oubliait, moi, je ne t’oublierais pas.(Is 49,15).

Je ne sais pas si vous réalisez à quel point l’Évangile est à contre-courant du monde… de ce monde-ci.

Prenons en exemple les dernières occurrences : Depuis quelques moins et semaines, les médias dévoilent différentes affaires liées au harcèlement, aux attouchements, aux violences faites aux femmes…L’échelle de ce phénomène parait incommensurable. Les commentaires se déchainent, les témoignages s’amplifient… les épithètes se multiplient… Le hashtag #balancetonporc bat son plein. Il est donc heureux que la parole se libère enfin, que la vérité éclate, que les mauvaises pratiques cessent : cela est bon et évangélique.

L’Évangile n’aime pas jouer à cache-cache…Mais, par contre, ce qui n’est pas évangélique du tout et s’oppose à l’attitude du Christ, c’est l’absence d’espoir en celui, en celle qui s’est mal conduit, pour l’amener à se convertir. Tout le monde se soucie surtout du mal qu’il a subi, donnant une drôle impression que l’on cherche plus à se venger pour toutes les années de silence qu’à la conversion du pêcheur….

Cette absence de miséricorde est contraire au message d’amour de l’Évangile de Jésus Christ. Ne pensez-vous pas que le plus pervers et tragique dans l’histoire des hommes est lorsque la victime à son tour prend la place du bourreau ? C’est la logique de la révolution bolchevique ou de la nôtre, française, où ceux qui subissaient des injustices et des misères ont renversé l’ordre établi, mettant en route la guillotine pour couper la tête à ses tortionnaires et à ceux qui ne pensaient pas comme eux.

Quel drame ! Seul le Christ, avec son regard d’espoir, peut nous sortir de ce cercle vicieux et du rire jaune de l’histoire…Bien évidemment, il ne s’agit pas d’acquitter les coupables ni d’agir comme si rien ne s’était passé…Il s’agit simplement de leur donner les moyens et le temps nécessaires à leur conversion.

C’est ça, la miséricorde chrétienne :

l’espoir que le bien resurgisse, même dans l’être qui parait à présent pourri jusqu’à la moelle.

Et pour finir, permettez-moi, mes chers frères et sœurs bienaimés, de vous dire un mot afin que vous sachiez répondre à tous ceux qui ne viennent plus à l’Église ou qui n’y viennent que rarement, pour les grandes occasions, comme ils le disent eux même.

Leur excuse majeure : le prêtre !

Combien de fois ai-je entendu leurs justifications : Mon père, dans mon enfance, pendant le catéchisme, dans ma paroisse, nous avions un prêtre sévère, qui nous menaçait de l’enfer, qui nous obligeait à aller« à confesse », ou qui n’était pas net, ou bien qui se comportait comme un fonctionnaire. Il était très loin de ses fidèles…

Je comprends leur histoire…Sincèrement, je compatis au fait qu’ils ne soient pas tombés sur un prêtre qui leur ait donné l’envie d’aimer le Christ… comme ce fut mon cas.

Pourtant je n’admets pas que le péché ou la mauvaise conduite de quiconque dans l’Église puisse servir d’alibi. L’Église n’est pas un cercle amical pour tel ou tel prêtre. C’est l’école de disciples du Christ : c’est Lui seul son centre de gravitation, c’est Lui Maître de son Église.

Par conséquent, ce n’est pas une société d’élites et de purs, à laquelle seulement sont admis les parfaits. C’est plutôt un hôpital de campagne selon la formule choc du pape François. Je lui laisse la parole :

« Je vois avec clarté – dit le Saint Père – que la chose dont a le plus besoin l’Église aujourd’hui, c’est la capacité de soigner les blessures et de réchauffer le cœur des fidèles, la proximité, la convivialité. Je vois l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille. Il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol et si son taux de sucre est trop haut ! Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pourrons aborder le reste. Soigner les blessures, soigner les blessures… Il faut commencer par le bas. L’Église s’est parfois laissé enfermer dans des petites choses, de petits préceptes. Le plus important est la première annonce : “Jésus-Christ t’a sauvé !”1

Amen.

  1. Ces paroles sont tirées de l’entretien que le pape François a accordé aux revues jésuites, en septembre 2013.