Homélie : Aimer jusqu’à la déchirure Homélie pour 6 dimanche du temps de Pâques, année B, le 6 mai 2018

Publié le Publié dans Homélies

Père Przemyslaw KREZEL
Paroisse St Pierre et St Paul
en Val d’Azergues
Diocèse de Lyon

Aimer jusqu’à la déchirure
Homélie pour 6 dimanche du temps de Pâques, année B,
le 6 mai 2018

Lectures :
Act 10,25-26.34-35.44-48 : Dieu ne fait pas de différence entre les hommes…
1Jn 4,7-10 : … aimons-nous les uns les autres…
Jn 15,9-17 : Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimé…

Mes sœurs et frères bienaimés,
Je vous avoue, en toute franchise, que le sujet abordé aujourd’hui par les textes liturgiques est tellement usé que l’on peut vraiment se demander : que dire de plus sur l’amour ?
L’appel du Christ « aimez-vous les uns les autres », à mon avis, ne nous fait plus vibrer le cœur. Il ressemble plutôt à une marque de noblesse, établie par le passé, qui a fait ses preuves et la gloire du christianisme, mais qui, dans les temps présents, n’a plus tellement de saveur car les gens préfèrent sa version moderne, mieux adaptée au quotidien : aimer soi-même, avant tout et toujours !

La preuve flagrante que l’appel du Christ a perdu sa signification originelle s’est révélée quelques années auparavant lorsqu’une femme politique, membre d’un parti qu’on aurait peu soupçonné de bienveillance à l’égard des catholiques, s’écriait devant ses camarades : aimez-vous les uns les autres…. tout en y ajoutant une déclaration assassine et contradictoire : ou bien disparaissez !
La phrase a fait le tour du monde ; cependant, je pense que personne n’a remarqué que les mots d’amour ont été placés juste à côté de celui qui caractérise l’hostilité. Hélas, nous ne sommes plus choqués que l’amour loge dans la même enceinte que les jérémiades, l’égoïsme, la rancune, voire la rage.

Un étonnant paradoxe : tout le monde désire un amour désintéressé, qui fasse rêver, et pourtant, en pratique, celui-là est souvent autiste.
Il n’est plus tourné vers l’autre, mais tourne autour du nombril de son émetteur.
Je me souviens d’un jeune homme qui, durant toute une soirée, murmurait à l’oreille de sa petite amie : qu’il l’aimait beaucoup, qu’il ne pourrait pas vivre sans elle, qu’il partirait pour elle, s’il le fallait, aux extrémités de la terre….
En fin de soirée, au moment de rentrer chez soi, ce jeune homme dit à sa chérie : Bisous mon ange, demain nous nous verrons, sauf s’il pleut.

Vous voyez : nous disons volontiers Je t’aime…, pourtant nous y ajoutons rapidement mais, si, à condition que, sous réserve que.
L’amour sans quelques préalables est aujourd’hui presque inconcevable.
Nous nous sommes habitués au fait que tout doit avoir des contreparties.
Ainsi, la gratuité, le don de soi, l’altruisme paraissent-ils extravagants.

Et pourtant, pourtant, c’est justement ce que fait l’âme de l’amour !
Sans une folle générosité, l’amour n’a pas de sens. Il devient une coquille vide.
Sa façade tient encore, mais le contenu soit disparaitra complétement,
soit sera modifié jusqu’à corrompre sa valeur première…, jusqu’à perdre toute saveur.

Pour le retrouver et retrouver la puissance de l’amour, il est nécessaire de changer de regard. Mes frères et sœurs bienaimés, il faut le convertir.
Voyons comment :
Un missionnaire européen, se promenait un jour dans les rues d’une ville chinoise. A un moment donné, il observa des enfants qui jouaient entre eux, portant sur leur dos leurs frères parfois plus grands qu’eux-mêmes. Et cela ne les empêchait pas de s’amuser malgré les efforts évidents.
En revanche, notre missionnaire-promeneur, éduqué dans la culture de précaution
et de respect des normes s’est décidé à s’adresser à l’un de ces enfants.
– Ce n’est pas bien que toi, si petit, portes un tel poids !
– Ce n’est pas le poids, monsieur – rétorque le gamin : c’est mon frère !

Mes chers amis,
Afin de retrouver l’amour dans son état pur, et le vivre, d’abord chacun de nous doit-il se poser la question :
Considéré- je l’autre comme mon frère, comme ma sœur ou plutôt comme un poids, un fléau, une malchance, une tare à subir.

Si notre regard sur l’autre ne change pas, ne devient pas plus bienveillant, l’amour ne pourra jamais sortir de son cocon. Il restera à jamais en suspens. Certes, les gens que nous rencontrons ne sont pas toujours agréables et sympathiques, parfois même sont-ils répugnants, n’ayons pas peur des mots.
Mais si nous, les chrétiens, ne sommes pas capables de faire mieux que les autres, qui le fera ?
Le Christ fut le premier à dépasser la haine, l’injustice, le mensonge.
Il a eu le courage de stopper le cercle vicieux de la loi du talon : œil pour œil, dent pour dent.

Pour aller jusqu’au bout dans l’amour, il n’a pas hésité à bousculer le monde entier. lui montrant que le monde meilleur est possible dès maintenant.
Cependant, pour que cela se pérennise, il faut que nous aimions jusqu’à la déchirure, comme l’a si bien chanté Jacques Brel :

Rêver… un impossible rêve,
Porter le chagrin des départs
Brûler d’une possible fièvre
Partir où personne ne part

Aimer jusqu’à la déchirure
Aimer, même trop, même mal
Tenter, sans force et sans armure
D’atteindre l’inaccessible étoile
Telle est ma quête….

Et la vôtre, mes frères ?